Les images sont choquantes et prévisibles: des enfants décharnés reçoivent des soins d'urgence. Comme toujours, il faut des images terribles pour que l'Occident prenne conscience de la gravité de la crise. Or, quand les images deviennent choquantes, il est généralement déjà trop tard. Les enfants meurent, les gens se déplacent massivement, en quête d'un peu de vivres et d'eau.

La sécheresse qui sévit dans la Corne de l'Afrique affecte plus de 10 millions de personnes. Cette semaine, les Nations unies ont qualifié la crise de famine dans deux régions du centre-sud de la Somalie, un pays déjà affaibli par des décennies d'instabilité politique et d'épisodes récurrents de sécheresse. La dernière crise alimentaire d'une telle gravité en Afrique a eu lieu il y a 20 ans... en Somalie.

Des famines, il n'y en a pas souvent. Pour qu'une crise alimentaire soit qualifiée de famine par les Nations unies, les taux de mortalité doivent être élevés (2 personnes par 10 000 par jour), au moins 30% de la population mal nourrie, l'accès à l'eau potable limité (4 litres par jour par personne) et 1 famille sur 5 doit être incapable de subvenir à ses besoins alimentaires.

Contrairement à un séisme qui frappe sans avertir, les crises alimentaires sont des catastrophes annoncées. Dès novembre 2010, les équipes de surveillance en Somalie signalaient que les pluies n'avaient pas été suffisantes et que la sécheresse allait se prolonger.

Lors de mon dernier passage au camp de réfugiés de Dadaab, au Kenya, en décembre, la majorité des nouveaux arrivants de la Somalie disait déjà chercher refuge au camp, non pas en raison de la violence, mais plutôt pour ne pas mourir de faim.

Une fois la crise annoncée, une réponse adéquate et rapide aurait pu permettre d'éviter, au moins partiellement, que la situation ne se dégrade à ce point.

Mais il y a un hic: l'accès humanitaire en Somalie s'est considérablement réduit au cours des dernières années en raison de l'insécurité. Il y a deux ans, les militants islamistes Al Shabaab qui contrôlent une bonne partie du territoire du sud du pays ont exigé le départ des humanitaires, les accusant d'être les émissaires de l'Ocident. Les nouveaux arrivants rencontrés au camp à la fin du mois de décembre n'avaient pas reçu d'assistance alimentaire. Cette fois, la crise est telle que ces mêmes militants ont appelé à l'aide.

Mais il est un peu tard: les populations ont déjà commencé à se déplacer à la recherche d'assistance. Ainsi, au cours des deux derniers mois, plus de 78 000 Somaliens ont cherché refuge au Kenya et en Éthiopie. Au Kenya, ils viennent s'ajouter aux 380 000 réfugiés qui s'entassent déjà dans les 3 camps de Dadaab, conçus pour en accueillir moins de 100 000. Au rythme actuel d'arrivées, il y aura bientôt un demi-million de personnes dans les camps, ce qui en fera l'une des villes principales du Kenya.

Les conditions de vie sont misérables dans le plus grand complexe de réfugiés au monde: il n'y a plus d'espace, donc les nouveaux arrivants s'installent dans des tentes de fortune aux frontières du camp, il manque d'eau, de latrines, et il fait une chaleur insupportable.

Bien que dans l'immédiat, le camp permette de sauver des vies, à terme, il ne constitue pas une solution acceptable. Pourtant, le temporaire devient souvent permanent. Ainsi, une centaine de milliers de réfugiés vivent à Dadaab depuis l'ouverture des camps, il y a près de 20 ans. Une seconde génération d'enfants y naît.

Le camp était pourtant pensé comme une solution temporaire, car jugé inadéquat dans la durée. Là, tout comme en ce qui concerne les crises alimentaires qui frappent la région de façon récurrente, il semble impératif de chercher des solutions durables et de répondre adéquatement aux premiers avertissements. La réponse d'urgence est certes nécessaire, mais elle n'est pas suffisante et surtout, l'envergure de la crise pourrait être limitée si nous n'attendions pas que les images catastrophes pour réagir.