Plus des deux tiers des scientifiques estiment qu'il est «acceptable» de militer pour l'interdiction de la biotechnologie alimentaire et des organismes génétiquement modifiés. Mais une proportion identique pense qu'il est «légitime» de faire, au nom de la science, la promotion des OGM.

Cette donnée, tirée d'un sondage effectué par l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences (ACFAS) auprès de ses membres, montre bien le respect qu'ont les scientifiques pour leurs pairs. «Tant que c'est fait au nom de la science, les chercheurs vont respecter un confrère», explique Yves Gingras, historien des sciences à l'UQAM, qui a analysé les résultats du sondage pour l'ACFAS.

 

De la même manière, les scientifiques estiment que le meilleur forum pour discuter de problèmes éthiques reliés à certaines recherches, notamment les risques des nouvelles technologies, est dans une conférence scientifique ou au sein des institutions académiques établies, par exemple les comités d'éthique des universités. Seulement 21% estiment qu'ils doivent en priorité alerter le public par l'entremise des médias. Les scientifiques sont aussi relativement satisfaits de leur engagement public, seulement 15% d'entre eux estimant qu'ils devraient consacrer davantage «beaucoup plus» de temps à la vulgarisation (36% souhaiteraient en faire «un peu plus»).

«Il y a une différence entre la population et les chercheurs sur l'implication des scientifiques dans la société, indique M. Gingras. C'est en partie dû à la carrière académique qui accorde plus d'importance aux communications avec les pairs qu'avec le public. Mais c'est aussi dû à la facilité des échanges avec d'autres chercheurs, à un langage commun, à une compréhension similaire de la méthode et des enjeux scientifiques.»

Néanmoins, les chercheurs ne sont pas immunisés contre le syndrome «pas dans ma cour». «Ils sont plus susceptibles d'être hostiles à soutenir l'opposition à une technologie quand ce n'est pas leur domaine de recherche, dit M. Gingras. Les chercheurs en sciences humaines ou sociales, par exemple, sont plus opposés que les autres au nucléaire ou aux OGM que ceux des sciences naturelles ou de la santé.»

L'historien des sciences estime que l'une des grandes différences entre les chercheurs et le public est la confiance envers la démarche scientifique. «On entend souvent dire qu'il ne faut pas se fier aux études qui ne trouvent pas de risques dans le nucléaire, le cellulaire ou les OGM parce que des gros gouvernements méchants ou l'industrie nous cachent des choses. Si on veut éviter tous les risques, avec un principe de précaution extrême, on ne fera jamais rien. Des risques, il y en a toujours. Les scientifiques savent que les choix scientifiques, ce n'est pas comme préférer Harper ou David Suzuki. C'est plutôt comme un choix entre deux modérés, entre Charest et Marois, par exemple.»

L'exemple de Grenelle

Depuis l'an dernier, des réunions rassemblant scientifiques et citoyens ordinaires ont lieu rue de Grenelle, à Paris, entre les 6e et 7e arrondissements. Des dizaines de mesures visant à régler des problèmes environnementaux, de l'interdiction des ampoules inefficaces au financement du train, ont découlé de ces rencontres.

Pour Jean-Marc Fleury, président de la Fédération mondiale des journalistes scientifiques, les «Grenelle de l'environnement» sont un exemple à suivre pour impliquer les chercheurs dans les questions de société à teneur scientifique. «C'est un bon exemple de participation conjointe du public et des scientifiques», dit M. Fleury, qui enseigne à l'Université Laval. «On a pu avoir des réponses objectives aux problèmes concrets soulevés par la population.»

Le terme «Grenelle» est inspiré d'accords conclus en pleine crise de Mai 1968 par l'État, les syndicats et le patronat. Ils avaient été négociés au ministère français du Travail, rue de Grenelle, et symbolisent depuis l'idée de négociations consensuelles nationales.

Le Canada est tout de même bien placé au niveau de la participation des scientifiques, selon M. Fleury. «Dans les subventions scientifiques, depuis quelques années, il y a un volet communications publiques avec un budget séparé, dit M. Fleury. Ça ne fait pas encore beaucoup d'impact sur une carrière académique, mais c'est un début.»

 

 

SONDAGE ACFAS AUPRÈS DE SES MEMBRES:

Pensez-vous qu'il y a une crise de confiance entre la science et la société?

Moins de 60 ans / 40 ans et plus

Non: 54% / 46%

Oui mais la crise n'est pas grave: 22% / 19 %

Il y a une crise grave: 11% / 32%

Les chercheurs devraient-ils s'engager auprès de publics non spécialistes ?

Les chercheurs devraient en faire plus : 62%

Les chercheurs en font déjà assez: 22%

Cette tâche ne revient pas aux chercheurs : 13%

Dans votre travail de recherche, vous est-il arrivé de vous questionner sur les problèmes de nature éthique, morale ou politique que pourrait poser votre recherche?

Oui : 71%

Rarement ou jamais : 22%

Imaginez que, dans son travail de recherche personnel, un scientifique s'aperçoive que les conséquences de sa découverte pourraient poser des problèmes de nature éthique, morale ou politique. À votre avis, comment devrait-il se conduire?

Il devrait en parler à ses collègues avant de prendre une décision: 96%

Il devrait saisir un comité de sages : 85%

Il devrait saisir le comité d'éthique de la recherche de son établissement : 94%

Il devrait en parler avec des proches : 74%

Il devrait prendre la décision tout seul de poursuivre ou non cette recherche : 19 %

Il devrait alerter les médias : 21%

L'opposition aux technologies suivantes est-elle acceptable ?

Oui / Non

Le boycottage de produits alimentaires contenant des OGM: 73% / 23%

La lutte contre l'implantation d'une centrale thermique au gaz: 75% / 15 %

La lutte contre l'implantation d'un port méthanier : 71% / 18 %

La lutte contre le développement des nanotechnologies : 27% / 58%

La lutte contre la surexploitation des forêts : 93% / 5%

La promotion, au non de la science, des produits suivants est-elle légitime?

Oui / Non

Assurer que l'énergie nucléaire civile présente un risque acceptable : 77% / 18 %

Assurer que le téléphone mobile ne présente pas de risque pour la santé: 69% / 24%

Assurer que les OGM ne présentent pas de risques pour les consommateurs : 70% / 24%