La couleur de la mer, ses golfes clairs, ses reflets d'argent, n'inspire pas que les poètes; elle est surtout pour les chercheurs une mine d'informations sur l'évolution de la richesse biologique des océans.

Après avoir mis du temps à s'imposer comme objet de recherche, «parce que dire qu'on s'intéresse à la couleur de l'eau, ça ne fait pas très sérieux», s'amuse David Antoine, scientifique qui a fait de cette discipline son terrain de jeu, l'étude des propriétés optiques de la mer est devenue un champ incontournable de l'océanographie. Et ce type de recherches a déjà sa référence, sur la Côte d'Azur en France, où le trio constitué par le laboratoire d'océanographie de Villefranche-sur-Mer où exerce M. Antoine, le constructeur de satellites Alcatel Alenia Space et la société Acri, spécialiste en génie marin, s'est forgé une réputation mondiale.

L'enjeu n'est pas mince: «la mesure de la couleur de l'eau est un indice essentiel de la quantité de phytoplancton présent dans l'océan et donc de sa richesse biologique puisque le phytoplancton est au point de départ de la chaîne alimentaire», explique le chercheur.

Violet, bleu, vert, jaunâtre, marron, les propriétés optiques de la mer indiquent l'état de la vie aquatique. L'oeil humain les perçoit, des instruments les analysent et les quantifient.

Tout commence dans le ciel où des capteurs «spécial couleur de l'eau» équipent désormais les satellites européens, américains, chinois, indiens. Tout finit dans la mer, et notamment en Méditerranée, où le laboratoire de Villefranche dispose depuis 2003 d'une des deux seules bouées au monde capables de mesurer en permanence la couleur de l'eau.

«Les mesures in-situ sont le complément indispensable des signaux enregistrés par les satellites, d'une part parce que ceux-ci peuvent connaître des dérives instrumentales, d'autre part parce qu'elles fournissent des données permettant de mieux comprendre les processus physiques de changement de couleur».

La bouée, arrimée à 2.400 mètres de fond, entre Nice (sud-est) et la Corse, mesure grâce à des radiomètres le rayonnement sous-marin et la fraction de ce rayonnement qui retraverse la surface et peut ensuite être mesurée par les satellites.

«Ce que l'oeil humain perçoit comme couleur de l'eau, c'est souvent le reflet de la couleur du ciel dans la mer, explique M. Antoine. Mais ce que cherche un scientifique, c'est ce qu'on appelle la réflectance, à savoir le rapport entre le flux d'éclairement remontant, puisque les différentes particules en suspension dans l'eau renvoient la lumière vers l'extérieur, et le flux descendant, celui qui pénètre dans l'océan».

«Comme la caractéristique du phytoplancton est d'absorber les radiations bleues, plus il y a de phytoplancton dans l'eau, moins celle-ci est bleue. Dans les eaux les plus pauvres du monde, situées dans le Pacific Sud, la couleur tire vers le violet. Quand la concentration en phytoplancton augmente, ça vire au vert, voire au marron, noir», décrit David Antoine.

La couleur varie dans l'espace mais elle peut aussi varier dans le temps et traduire des modifications de l'écosystème de l'océan liées aux changements climatiques, une des obsessions des chercheurs.

«Pour avoir des certitudes, il faudra patienter car nous avons besoin de données à l'échelle de plusieurs décennies», tempère le chercheur.