C'est le «nouveau défi» du 21e siècle : des scientifiques européens s'engagent dans un ambitieux projet visant à modéliser le cerveau humain sur ordinateur au moment où, aux États-Unis, Patrick Kennedy s'apprête, lui aussi, à se lancer à l'assaut de cette «Nouvelle Frontière».



Percer les secrets du cerveau permettrait non seulement de traiter de nombreuses maladies (Alzheimer, Parkinson, schizophrénie, autisme..), mais entraînerait aussi d'importantes avancées en informatique et en robotique.

Comprendre le cerveau «est le défi ultime pour l'homme», a déclaré jeudi lors d'une conférence de presse à Paris Henry Markram, promoteur du «Human Brain Project», initiative européenne.

Son objectif : fédérer les connaissances disparates sur le cerveau et les meilleures équipes de chercheurs, des neurobiologistes aux informaticiens, afin de réussir, d'ici 2023, à modéliser un cerveau humain sur un supercalculateur.

Aux États-Unis on envisage aussi la conquête de la planète cerveau. Dans quelques jours, à l'occasion de 50e anniversaire du discours historique de John Kennedy du 25 mai 1961 lançant la conquête la Lune, son neveu Patrick Kennedy doit annoncer «le prochain Moonshot américain», un tir dont l'objectif est cette fois le cerveau, a relevé M. Markram.

Si le projet américain se concentre sur les maladies cérébrales, M. Markram revendique une approche «plus intégrée».

Pour reproduire le fonctionnement de 100 milliards de neurones ayant de multiples connexions, il faudra un ordinateur capable de faire 1 milliard de milliards d'opérations par seconde. Dès 2018, IBM devrait en sortir un, assure M. Markram, fondateur du projet Blue Brain lancé en 2005 à l'École polytechnique fédérale de Lausanne (Suisse).

Il faut «faire le lien entre psychologie et structures du cerveau», a expliqué Stanislas Dehaene, chercheur au centre de neuro-imagerie Neurospin du CEA près de Paris, qui a rejoint voici quelques mois «l'immense chantier» qu'est le Human Brain Project.

Appréhender comment l'enfant acquiert le langage ou la lecture, comment le cerveau nous permet de reconnaître rapidement un visage : les travaux de neuro-imagerie «destinés à comprendre certaines caractéristiques de l'espèce humaine joueront un rôle important dans le projet», souligne ce spécialiste.

M. Markram dont le projet initial Blue Brain avait été jugé trop réducteur par certains chercheurs, invite maintenant à «la collaboration pour mettre en commun les connaissances» dans le cadre du Human Brain Project (HBP), que l'Union Européenne pourrait décider de financer à hauteur d'au moins 100 millions d'euros par an pendant dix ans.

Avant même que l'UE se prononce au printemps 2012 sur le choix des projets phares retenus, le neurobiologiste français Jean-Pierre Changeux, insiste sur les «enjeux sociaux et éthiques considérables de ce projet de simulation du cerveau humain» auquel il s'est récemment associé.

Une meilleure lecture du cerveau peut poser le problème de la confidentialité des données, dit-il, voire le risque d'une «manipulation des conduites humaines», d'un accès au «contrôle des pensées».

«Si on est capable de simuler un comportement, on est aussi capable de le manipuler», relève ce responsable du «pilier» éthique du HBP qui veut garantir le «respect de la personne humaine».

En cas de signes avant-coureur d'une future maladie, faut-il dire à chacun ce qui va se passer dans son cerveau lorsqu'il aura 60 ans ?

M. Changeux redoute aussi que certains veuillent «augmenter les capacités» du cerveau humain : «est-ce qu'on ne va pas introduire des prothèses chez l'enfant qui permettront de le rendre plus intelligent?»