Véritable coffre-fort naturel vieux de 20 millions d'années, les 4 kilomètres de glace recouvrant le lac Vostok en Antarctique auraient après 2 décennies de forage a été percés par une équipe de chercheurs russes.

«Nos scientifiques ont achevé dimanche les travaux de forage et atteint la surface du lac à 3768 mètres de profondeur», a affirmé une source près de l'équipe de scientifiques à Ria Novoski, une agence de presse russe. La fin de ces travaux de forage commencés en 1989 tombe à point: quelques jours seulement avant la fin de l'été antarctique et l'évacuation forcée des scientifiques.

En étudiant le lac souterrain, les chercheurs espèrent trouver un type de micro-organismes, les extrémophiles, pouvant survivre dans ces conditions difficiles. Ce type d'organisme est très prisé par l'industrie des biotechnologies. De nombreux composés utiles, dont une enzyme utilisée dans les analyses d'ADN, en sont dérivés.

L'étude du lac Vostok permettrait aussi d'en apprendre un peu plus sur le satellite de Jupiter, Europa, où l'on pense que la surface glacée renferme un océan souterrain. «C'est une occasion de comprendre quelles sont les limites de la vie et si elle est possible dans des milieux similaires à Europa», résume Warwick Vincent, microbiologiste et directeur scientifique du Centre d'études nordiques de l'Université Laval.

Violer l'inviolable

On ne creuse pas quatre kilomètres de glace sans peine. «La glace se comporte un peu comme le beurre derrière le passage d'un couteau et cherche à reprendre[sa place]», explique le directeur de recherche au Laboratoire de glaciologie et géophysique de l'environnement de Grenoble, Jean-Robert Petit. Pour contrecarrer la pression de la glace et éviter que leur puit de forage ne se referme, les Russes l'ont rempli de kérosène, un liquide reconnu pour son point de congélation extrêmement bas.

Le choix du kérosène inquiète énormément la communauté internationale. Les Russes assurent avoir changé de fluide de forage pour les derniers mètres et pris les mesures nécessaires pour éviter la contamination chimique et bactériologique, mais plusieurs chercheurs ne sont pas rassurés pour autant.

«C'est très excitant, mais c'est très inquiétant en même temps, explique Warwick Vincent. Les Russes sont au courant des risques de contamination associés à leurs activités, mais on ne sait pas si les mesures de sécurité qu'ils ont prises sont adéquates.»

Même son de cloche de la Coalition pour l'Antarctique et l'océan Austral. L'organisation non gouvernementale aurait préféré que l'on teste d'abord la technique de forage sur un lac plus petit et moins important. «On ne dit pas de ne pas creuser, mais c'est important pour la science que les choses soient bien faites parce qu'on n'aura pas de deuxième chance, prévient la directrice au secrétariat de la Coalition pour l'Antarctique et l'océan Austral, Claire Christian. On ne peut pas attendre un autre 20 millions d'années supplémentaires pour que le lac se nettoie.»

Science contre politique

Pour le glaciologue Jean-Robert Petit, les scientifiques risquent de ne rien retirer de Vostok. Pour lui, l'aventure russe tient plus du coup d'éclat politique que de l'amour de la science, comme en témoigne leur empressement à creuser malgré les risques. «C'est un peu comme pour la course vers l'espace des années 60. On cherche à en mettre plein la vue.» Contrairement à ce que pense le microbiologiste Warwick Vincent, M. Petit croit que l'oxygène dissous dans les eaux du lac Vostok le rend stérile à la vie. «J'espère vraiment qu'ils feront une découverte utile pour la science», conclut-il, dubitatif.

- Avec l'AFP