Guy Laliberté s'envolera pour l'espace le 30 septembre. Le fondateur du Cirque du Soleil sera le premier artiste de l'espace, récitera une oeuvre d'un poète québécois et transformera son séjour dans la Station spatiale en ode à la conservation de l'eau. Il en profitera pour tourner son autobiographie.

Peu après la fondation du Cirque du Soleil, en 1984, un journaliste a demandé à Guy Laliberté où il voyait son bébé 25 ans plus tard. «Dans l'espace», a-t-il répondu avec ironie. Il ne croyait pas si bien dire.

 

Le magnat québécois du cirque célébrera ses 50 ans en orbite à la Station spatiale internationale, où il se rendra le 30 septembre à bord d'une capsule Soyouz. Cette «mission sociale et poétique» sera précédée d'un entraînement intensif de quatre mois à Moscou, où M. Laliberté en profitera pour tourner trois documentaires, dont son autobiographie. Le séjour de 12 jours, qui lui coûterait autour de 35 millions de dollars, sera une «production artistique» basée sur le message de la fondation Goutte de vie, qu'il a mise sur pied pour promouvoir la conservation de l'eau, et sur un poème du Québécois Claude Péloquin.

Tout a commencé en 2000 lors d'un souper d'anniversaire de Luc Plamondon. M. Laliberté était assis à la table de Julie Payette. Les deux se connaissaient parce que l'astronaute québécoise avait apporté en orbite en 1999 un nez de clown du Cirque du Soleil. Elle lui a dit que sous peu, des touristes pourraient aller en orbite, dans des capsules Soyouz nolisées par une entreprise américaine, Space Adventures. Par les temps qui courent, alors qu'elle se prépare pour un second vol dans l'espace prévu le 13 juin, elle correspond avec lui chaque semaine.

«En 2004, j'ai commencé à faire des démarches, et en 2007, tout était prêt pour que je parte, mais pour des raisons professionnelles et personnelles, j'ai reporté ça», dit M. Laliberté en entrevue téléphonique avec La Presse, après une conférence de presse retransmise de Moscou à l'Agence spatiale canadienne, à Saint-Hubert.

Une autre chance lui est venue en avril dernier. Une annulation de dernière minute à bord d'un vol vers la Station spatiale a libéré un espace pour Space Adventures, l'entreprise qui organise le voyage de M. Laliberté. Space Adventures a déjà envoyé six touristes en Soyouz, dont un à deux reprises. Sa stratégie de marketing est singulière: elle établit la liste des 1000 personnes les plus riches au monde, vérifie lesquelles sont susceptibles d'être assez en forme pour supporter l'entraînement de cosmonaute, et les contacte directement pour leur vendre un séjour en orbite à un coût variant de 20 à 45 millions.

«Je passais une journée à Montréal en provenance d'Hawaii, avant d'aller en voilier avec ma famille pour les vacances de Pâques, a expliqué M. Laliberté. Comme d'habitude, j'avais une pile de courriels. J'ai répondu à Space Adventures que je ne pouvais pas me libérer. Mais une nuit où je ne parvenais pas à dormir, dans le voilier, j'y ai repensé. Et à l'aurore, je me suis dit que je ne pouvais pas laisser passer cette chance. J'ai pris une semaine pour en parler avec ma famille et voir avec le bureau s'il était possible de réorganiser mon horaire jusqu'en octobre. Et je me suis lancé.»

Servir d'exemple à ses enfants

La famille est une donnée importante pour M. Laliberté. C'est à ses enfants qu'il consacrera ses quelques fins de semaine de vacances cet été - il ira les retrouver en Europe. Et il veut que son séjour spatial serve d'exemple à ses enfants. «Un père qui a des enfants qui grandissent dans le confort s'inquiète de leur capacité à affronter la jungle. Mes enfants savent que pour atteindre mon rêve d'aller dans l'espace, j'aurai pédalé chaque matin à Star City à Moscou pour me rendre à mes cours. Ça leur montrera qu'il faut travailler pour atteindre ses rêves.»

Les journées moscovites de M. Laliberté se suivent et se ressemblent: cours de 9h à 18h, puis souper avec les cosmonautes russes et américains, quelques mots avec sa famille et ses collaborateurs du Cirque, dodo à minuit. Les tests médicaux «très invasifs», qui se sont étirés pendant plusieurs semaines en mai, lui ont permis de savoir qu'il avait «un coeur d'astronaute».

«Ce sentiment qui m'habitait, cette énergie unique qui m'allumait, lorsque j'étais amuseur public avec mes chums dans la rue. Cette espèce de symbiose, de camaraderie et de respect qui surgit lorsque stimulé par un goût commun d'aventure et de découverte. Ce non-dit qu'on retrouve chez les gens de la rue: watch my back and I'll watch yours. J'ai retrouvé ce même esprit au sein de la communauté spatiale.»

Pour M. Laliberté, le but de son entraînement est de ne pas être une charge pour ses coéquipiers. «J'ai regardé mon commandant dans les yeux, et je lui ai dit que je serais là pour lui s'il a besoin de moi.»

Est-ce difficile de ne pas être celui qui décide? «Non, ça fait du bien de se laisser diriger. C'est un vent d'air frais.»

Guy Laliberté aura quand même des gens à diriger durant son séjour. Il aura une équipe de quatre personnes du Cirque à sa disposition pour tourner trois documentaires, en plus d'une autre équipe de conception artistique à Montréal. Le premier documentaire portera sur l'entraînement d'un astronaute, le deuxième sur la «mission poétique», et le troisième sur sa vie. «Tout le monde attend de ma bouche ma vraie histoire. Quand tu vas dans l'espace, tu fais un retour sur toi, sur ta vie. Il y a des risques, quand même.»

La mission veut populariser Goutte de vie. N'aurait-il pas été plus efficace d'allouer tous ces millions à la fondation? «C'est un projet personnel, se défend M. Laliberté. En plus, il y a des avantages pour la fondation.»

C'est la première fois que les agences spatiales russe et canadienne accordent publiquement leur appui à un projet privé d'un touriste spatial. Steven Maclean, ancien astronaute et président de l'Agence spatiale canadienne, pense que Guy Laliberté permettra de populariser les activités de l'Agence. Le premier touriste spatial canadien, lui, vise maintenant la NASA. «J'ai convaincu les Américains de la NASA qui sont à Star City, il faut maintenant que ça monte dans l'organisation. J'ai besoin de l'appui de la NASA pour ma mission.»

 

La poupée de grand-maman

Guy Laliberté emportera en orbite un objet cher à chacun de ses enfants. «Ma plus vieille a choisi quelque chose de très symbolique. Ça me fait chaud au coeur. C'est une petite poupée que lui avait brodée ma mère quand elle avait 2-3 ans. Les enfants sont en déménagement, elle pensait l'avoir perdue. Elle l'a cherchée pendant trois semaines, elle a ouvert toutes les boîtes, et hier elle l'a trouvée. Mon fils a choisi la croix que ma mère lui a donnée pour son baptême. Ma troisième a choisi une autre petite image religieuse reçue en cadeau pour son baptême. Mon quatrième, c'est drôle, il a choisi son gant de jardinier. La dernière a 2 ans, on ne sait pas encore.»