Il y a 38 ans, le poète Claude Péloquin a fait trembler la société québécoise avec ce célèbre cri du coeur: «Vous êtes pas écoeurés de mourir, bande de caves? C'est assez!» Plus discret au cours des dernières années, le poète est à nouveau sous les feux de la rampe: Guy Laliberté l'a choisi pour écrire le texte qu'il lira durant son voyage dans l'espace. Un défi qui ne lui fait pas peur, bien au contraire.

Q Comment avez-vous rencontré Guy Laliberté?

R Je ne m'en souviens pas, et lui non plus. J'ai l'impression qu'on se connaît depuis toujours. Ça fait 10 ans qu'on se rencontre dans toutes sortes d'événements qui nous ont rapprochés au fil des ans. J'ai écrit des textes pour la naissance de chacun de ses cinq enfants... Tous les deux, on est un peu «fous», et c'est cette folie qui nous a unis.

Q Pourquoi vous a-t-il choisi pour ce projet?

R L'élément déclencheur, c'est quand j'ai offert à Guy, pour son 50e anniversaire, le 50e exemplaire d'une édition spéciale de mon livre Le Cadeau, tiré à 250 exemplaires. Guy donne beaucoup, mais je ne sais pas s'il reçoit souvent... Peu de temps après, Daniel Lamarre (PDG du Cirque du Soleil) m'a appelé et m'a dit simplement: «Guy veut te parler.» C'était il y a un mois environ, il était à Moscou et on s'est parlé au téléphone pendant 45 minutes. Cela m'a beaucoup touché qu'il ait pensé à moi, même si je sais que j'ai le calibre pour écrire.

Q Vous êtes reconnu pour aimer la provocation. À quoi peut-on s'attendre de votre prochaine oeuvre?



R Ce ne sera pas une oeuvre provocatrice, mais dénonciatrice. On est là pour ouvrir les esprits, pas pour les perturber. On va trouver et proposer des solutions pour que plus jamais un être humain ne souffre de la pénurie d'eau. On va y aller avec notre coeur, et cela va frapper. C'est sans doute pour ça, parce que je ne mets pas de gants blancs, que Guy m'a choisi. La logistique et la forme que le poème va prendre ne sont toutefois pas encore décidées. (NDLR: Le concept initial évoqué lors de la conférence de presse, un poème de 30 lignes, lues toutes les trois minutes pendant une orbite de 90 minutes, est en suspens.) Je rencontre Guy la semaine prochaine à Montréal, il va m'orienter sur les thèmes qu'il souhaite que je développe.

Q La question de l'eau vous préoccupait-elle avant d'être entraîné dans ce projet?



R Oui. Quand je vivais aux Bahamas, je me suis révolté contre le fait qu'on ait réduit de 25 à 20 km la distance des berges à laquelle les paquebots peuvent rejeter leurs déchets. On ne respecte pas l'eau et cela veut dire qu'on ne se respecte même pas nous-mêmes parce qu'on en est faits à 98,8%.

Q Le voyage de Guy Laliberté dans l'espace lui coûtera entre 20 et 40 millions de dollars. N'aurait-il pas mieux fait d'investir cet argent pour améliorer l'accès à l'eau potable dans les pays en voie de développement?

R Guy va le faire de toute façon. Si un homme qui a travaillé si fort ne peut pas dépenser son argent comme il le veut, on s'en va où? Laissez-le tranquille. Et puis cet investissement va rapporter beaucoup à la fondation One Drop grâce à toute l'attention qu'il va susciter.

Q Il est rare qu'une oeuvre de poésie suscite autant d'intérêt. Cet art a-t-il la place qu'il mérite dans la société?



R Non, il n'y a pas assez de poésie dans le monde - pas seulement au Québec. La poésie, c'est l'agrandissement de l'âme, mais il ne faut pas non plus qu'on lui donne toute la place: c'est aux artistes de la prendre. Moi, je n'ai pas attendu. J'ai vendu mes livres dans les tavernes, je bouge pour me défendre. Il faut faire comme Guy, suivre ses intuitions, foncer, marcher avec son coeur. Habituellement, ça marche.

Q Montréal est souvent taxé d'immobilisme. La Ville en fait-elle assez pour promouvoir la culture?

R Je ne sais pas si elle en fait assez mais, comparée à d'autres villes, elle en fait beaucoup plus. On a quand même plusieurs festivals, et on ne peut certainement pas dire qu'elle est malade ou anémique de ce côté-là.

Q Vous avez écrit pour des grands noms de la chanson dans les années 60-70 (Robert Charlebois, Claude Léveillée, Louise Forestier...). Que pensez-vous de leurs successeurs, de la nouvelle génération d'artistes?

R Je ne les connais pas... Je ne vais plus dans les endroits branchés et je n'écoute pas la radio. Je suis tellement pris par mon écriture... Je constate que, dans le domaine de la chanson, quand quelqu'un fait un disque, c'est toujours les mêmes qui en écrivent les paroles. Personne n'est revenu me voir après Lindbergh, sauf Charlebois. J'ai envoyé des textes à Yann Perreault, à Stefie Shock, j'attends toujours leur réponse... Mais je sais quand même que le milieu est assez en santé parce que je sens une certaine folie dans la jeunesse.

Q Quels projets vous occupent en ce moment?

R Je travaille sept jours sur sept. Je viens de finir un livre qui s'appelle Niagaaraa et que j'ai mis trois ans à écrire. Je prépare des scénarios de film, un père m'a demandé d'écrire la vie de sa fille, qui a beaucoup souffert en Hollande, et je vais passer l'été à rédiger un conte fantastique pour enfants, dont j'ai eu l'idée dans un voyage à Cuba. Puis, à l'automne, je vais lancer à Paris un recueil de 500 chansons inédites. Pour les chanteurs, ce sera premier arrivé, premier servi. C'est trop compliqué pour moi de contacter les artistes. Ce n'est jamais le bon moment, soit parce qu'ils ne sont pas en studio, soit parce qu'ils viennent de lancer un disque. J'ai déjà tout le matériel dans ma tête, il ne reste plus qu'à le développer.

Q Votre célèbre phrase coup de poing: «Vous êtes pas écoeurés de mourir, bande de caves? C'est assez!» a fait scandale lorsqu'elle a été inscrite sur la murale créée par Jordi Bonet pour l'inauguration du Grand Théâtre de Québec, en 1971. Quelles leçons avez-vous tiré de cet épisode?

R J'ai appris qu'ils ont eu 2 millions de visiteurs et que je n'ai jamais été payé! Je n'ai jamais rien demandé parce que je l'ai fait pour Jordi Bonet... J'aurais dû demander 10 cents par tête! Mais je ne regrette rien, j'ai vraiment vécu ma poésie à fond. Ce n'est pas compliqué, dans mon cas, la poésie est une vocation. Je sais depuis l'âge de 12 ans que je vais écrire toute ma vie.

Q Est-ce que vous oseriez encore écrire cette phrase aujourd'hui?

R Oui. Elle a 40 ans et elle est encore actuelle. Les gens meurent encore par manque d'eau, à cause des guerres, de la pollution. J'ai peur...

Q Vous êtes absent de la dernière édition de L'Anthologie de la poésie québécoise. Êtes-vous déçu?



R Cela me choque surtout pour les étudiants, qui n'auront pas le vrai portrait de la littérature au Québec. On m'a exclu parce que je dis ce que je pense, et ça fait peur. Mais je ne songe pas à prendre ma revanche, je continue à faire mon travail. Une dame chez Renaud-Bray, quand elle a vu que cela me faisait de la peine de ne pas être dans l'anthologie, m'a dit: «Ne vous en faites pas, vous êtes déjà passé à l'histoire.» Elle m'a dit cela avant One Drop, l'an passé. Dans la prochaine édition, mon nom sera sûrement là.