En 1994, Donna Donovan a décidé d'avoir un enfant seule, par insémination. Elle a choisi la banque de sperme new-yorkaise Idant, qui se vantait de son rigoureux contrôle de la qualité. Après l'accouchement, en 1996, son bébé, Brittany, a rapidement eu des comportements anormaux. En 1997, le diagnostic est tombé: elle était atteinte du syndrome du «X fragile», une forme de retard mental qui touche une personne sur 5000.

Au printemps dernier, Brittany a reçu d'un tribunal new-yorkais l'autorisation de poursuivre la banque de sperme pour n'avoir pas fait de test susceptible de détecter la mutation génétique responsable du syndrome du X fragile. Selon le juge, ce test était offert dès 1992. Qui plus est, les hommes qui ont la mutation sont tous atteints de retard mental. Le comportement du donneur de sperme aurait donc dû alerter Idant.

L'histoire avait même fait l'objet d'une étude publiée dans l'American Journal of Medical Genetics en 2008. Il s'agissait du premier cas documenté de maladie génétique transmise par don de sperme.

Il y a quelques années, une banque de sperme de Colombie-Britannique avait été poursuivie avec succès parce qu'elle avait tardé à faire des tests permettant de détecter le virus du sida. Mais il n'y a jamais eu au Canada de poursuite basée sur un test génétique, estime Margaret Sommerville, juriste et éthicienne à l'Université McGill. «Les tribunaux hésitent à accorder des dommages et intérêts à un enfant victime d'une erreur médicale à la naissance, parce que cela équivaut à dire qu'il serait plus heureux s'il n'était jamais né, dit Mme Sommerville. Il est plus facile d'accorder des compensations aux parents. Il faut prouver que la banque de sperme n'a pas fait les vérifications raisonnables. C'est une question de possibilités technologiques et de coûts financiers, entre autres.»

Dans le cas de Brittany, sa mère n'a pu poursuivre en son nom parce qu'il s'était écoulé trop de temps après les tests montrant que la mutation provenait du sperme du donneur et non de Donna Donovan. Les tests avaient été faits en 1998, mais Idant avait tout nié, ce qui avait dissuadé Mme Donovan de poursuivre la banque de sperme. Ce n'est qu'après la publication de l'étude, en 2008, qu'elle a changé d'idée. Mais Brittany avait jusqu'à l'âge de 20 ans pour intenter une poursuite. Détail intéressant, Donna Donovan habite la Pennsylvanie, où une loi protège les banques de tissus humains contre les poursuites, ce qui explique qu'elle a intenté sa poursuite à New York.

Scott Brubaker, de l'Association américaine des banques de tissus, qui regroupe des banques de sperme américaines occupant une bonne partie du marché canadien de vente de sperme, n'a pas voulu commenter le dossier Donovan.  «Nous avons des lignes directrices pour les tests génétiques et la Société américaine de médecine reproductive en a aussi.» Ces lignes directrices suggèrent l'exclusion de donneurs qui ont des «problèmes cognitifs» et une série de tests génétiques liés au chromosome X. À la clinique de fertilité montréalaise Procréa, la secrétaire médicale Carole Barrette a indiqué que personne ne pouvait répondre aux questions de La Presse sur ce sujet.

La revue médicale Lancet Oncology avance que le cas de Brittany Donovan pourrait mener à de nombreuses poursuites liées à des mutations génétiques encore plus fréquentes, comme celles qui prédisposent au cancer du sein, et pourrait forcer les banques de sperme à tenir à jour une liste de tests génétiques et à les offrir à leurs clientes moyennant des frais supplémentaires.