Une étude israélienne très favorable aux statines relance le débat sur la prescription de ces médicaments aux personnes ayant un haut taux de cholestérol, même si elles n'ont pas encore fait de crise cardiaque. À la fin janvier, le cardiologue français Michel de Lorgeril avait dénoncé les statines sur plusieurs tribunes, lors d'un voyage au Québec.

L'étude israélienne, publiée dans la revue Archives of Internal Medicine, montre que la probabilité de mourir diminue de 45% chez les gens qui prennent religieusement leurs statines, par rapport à ceux qui n'en prennent pas. Détail important, la diminution est aussi grande chez les patients qui n'ont pas encore eu de troubles cardiaques.

 

«Les résultats sont encore plus importants que prévu», affirment en entrevue téléphonique les deux auteurs principaux, Anthony Heymann et Varda Shalev, des Services de santé Maccabi, l'une des principales caisses d'assurances du pays. «Nous soupçonnons que les statines ne réduisent pas seulement les risques cardiaques, mais agissent aussi sur le plan immunitaire, anti-inflammatoire et pourquoi pas du cancer.»

L'étude est «rétrospective», c'est-à-dire qu'elle examine les dossiers passés de patients. Ce type d'étude est moins fiable que les études «prospectives», où des patients sont assignés au hasard à deux groupes qui sont suivis par la suite. Mais les études rétrospectives ont l'avantage du nombre: celle-ci porte sur 230 000 sujets, dont 135 000 en «prévention primaire», qui ont pris les statines sans avoir eu d'incident cardiaque.

Ce grand nombre de patients permet de tenir compte de l'adhérence au traitement. «Les trois quarts des patients cessent de prendre leurs statines dans les deux années après la prescription, disent les Drs Heymann et Shalev. Notre grand échantillon nous a permis d'isoler ceux qui continuent, et d'avoir encore des résultats statistiquement significatifs.» L'adhérence au traitement a été mesurée avec les achats de statines par les patients. La réduction de risque de 45% est obtenue en comparant les patients qui ont pris des statines plus de 90% du temps de suivi (en moyenne cinq ans), et ceux qui en ont pris moins de 10% du temps.

Propagande pharmaceutique

La Presse a demandé son avis au Dr de Lorgeril, qui a écrit plusieurs livres contre les statines, le dernier étant Cholestérol, mensonges et propagandes, dans lequel il affirme qu'un taux de cholestérol élevé n'est pas un facteur de risque cardiaque. Pour le Dr de Lorgeril, qui travaille à Grenoble et a dirigé à la fin des années 80 l'«étude de Lyon», qui a établi les bénéfices cardiaques du régime méditerranéen, le simple fait de mentionner cette étude israélienne dans un quotidien «participe à la propagande» de «l'industrie pharmaceutique».

La demi-douzaine de spécialistes québécois consultés par La Presse s'entendent pour considérer les statines appropriées en «prévention secondaire», après un incident cardiaque, mais le débat subsiste en «prévention primaire». En général, les cardiologues commencent par tenter de changer les habitudes de vie des patients - alimentation, exercice, tabagisme - et ne prescrivent les statines que si le taux de cholestérol ne baisse pas. Mais il n'y a pas de consensus absolu sur la durée des essais de modification des habitudes de vie, et certains débats subsistent sur la cible de cholestérol à viser.

Le Dr de Lorgeril a refusé de répondre directement à la question de l'utilisation des statines pour la prévention secondaire. Il a expliqué que le même mécanisme est en jeu et que, selon lui, le cholestérol n'y joue aucun rôle. D'après lui, si les statines fonctionnent en prévention secondaire, elles devraient également fonctionner en prévention primaire; comme les données sont ambiguës à ce sujet, c'est la preuve que sa thèse est correcte.