Coup de théâtre: 12 ans après avoir publié un article hautement controversé qui suggérait un lien entre le vaccin contre la rougeole et l'autisme, la prestigieuse revue The Lancet se rétracte.

«Nous retirons cet article de nos archives», a déclaré le journal scientifique hier. C'est la deuxième fois en 10 ans que la revue reconnaît ainsi qu'elle n'aurait pas dû publier cette recherche.

Réalisée par 13 chercheurs, dont le gastroentérologue britannique Andrew Wakefield, la recherche en question, publiée en 1998, affirmait avoir trouvé des traces du virus de la rougeole (administré dans les vaccins de routine) dans des biopsies intestinales réalisées auprès de huit enfants autistes.

Aussitôt publiés, ces résultats ont suscité un véritable vent de panique dans le monde anglo-saxon. Les taux de vaccination ont chuté radicalement, à 81% en Angleterre et à 76% en Irlande. Alors que, en 1999, seules 148 personnes ont eu la rougeole en Irlande, en 2000, le chiffre a grimpé à 1603. La même année, trois enfants sont morts de la maladie, jusque-là quasi éradiquée.

En 2004, 10 des 13 chercheurs qui avaient participé à l'étude (par ailleurs hautement contestée puisque ses résultats n'ont jamais été reproduits scientifiquement), se sont rétractés, toujours dans la revue The Lancet: «Nos travaux n'ont jamais fait de lien entre le vaccin ROR (rougeole, oreillons, rubéole) et l'autisme (...). Toutefois, nous avons évoqué la possibilité qu'un tel lien puisse exister.»

Des failles éthiques

Cette fois, c'est à la suite d'un avis émis la semaine dernière par le General Medical Council britannique que The Lancet a décidé de carrément retirer cet article de ses archives. La semaine dernière, le conseil a en effet révélé que, outre les failles méthodologiques que l'on connaissait déjà (trop petit échantillon, étude financée par un groupe de parents d'autistes qui voulaient poursuivre les fabricants de vaccin), le travail d'Andrew Wakefield souffrait aussi de nombreuses failles éthiques: examens invasifs (ponctions lombaires, loboscopies) sans autorisation d'un comité d'éthique et échantillons de sang récoltés lors d'une fête d'enfants contre rémunération.

Enfin, alors que sa recherche condamnait le triple vaccin ROR, Andrew Wakefield avait mis sur pied sa propre entreprise en vue de réaliser un nouveau vaccin contre la rougeole, ce qui le plaçait en conflit d'intérêts. «C'est infondé et injuste, a rétorqué le médecin la semaine dernière. Je n'ai aucun regret.» Signalons qu'il a quitté l'Angleterre et qu'il travaille désormais aux États-Unis, à l'International Child Development Resource Center.

La fin d'un feuilleton?

«Une condamnation pour meurtre aurait été plus appropriée, a dit hier Philippe de Wals, président du Comité sur l'immunisation du Québec, en réaction à la nouvelle. Des enfants sont morts parce que des parents ont cru à ces théories», se désole-t-il.

Si cette rétractation met un point final au feuilleton qui a entouré cette recherche, du moins du point de vue scientifique, plusieurs chercheurs croient que le public risque de continuer de se méfier des vaccins. «Ça ne changera rien du tout, a commenté hier le microbiologiste et infectiologue Karl Weiss. Il y aura toujours deux catégories d'individus: une immense majorité convaincue du bien-fondé des vaccins, et une poignée d'irréductibles, adeptes de la théorie du complot.»

Résultat: «La théorie du complot va persister, et on risque d'entendre parler du vaccin et de l'autisme pendant des années, malheureusement», a aussi ajouté Gaston de Serres, médecin épidémiologiste à l'Institut national de santé publique du Québec.

C'est du moins ce que souhaite la réalisatrice Lina B. Moreco (Silence, on vaccine), laquelle déplore l'«acharnement» dont est victime le Dr Wakefield, alors qu'il serait au contraire très sain, selon elle, que l'on se demande «pourquoi on vaccine autant».

De son côté, la Fédération québécoise de l'autisme et autres troubles envahissants de développement (TED) souhaite que l'on passe enfin à autre chose: «On essaye juste d'invalider les résultats d'une recherche d'il y a 12 ans, a dit hier la directrice générale, Johanne Lauzon. Pendant ce temps, les TED continuent de progresser et on ne sait pas pourquoi. Est-ce qu'on peut enfin arrêter de tourner en rond?»