Que ce soit pour convaincre les électeurs ou pour asseoir leur domination dictatoriale, les dirigeants politiques et aspirants au pouvoir n’hésitent pas à exploiter un filon bien particulier : s’exposer au plus grand nombre aux côtés d’animaux en tous genres, des chiots aux vaches en passant par les tigres. Dans un récent ouvrage portant sur le sujet, le journaliste politique Lucas Jakubowicz examine le recours à cette stratégie de communication.
Ils s’appellent Bo, Major, Maskou, Clara, Boris… des noms de proches collaborateurs ou de directeurs de cabinet politique ? Pas exactement, mais ils occupent des fonctions qui s’en approchent. Ces chiens et chats apparaissant aux côtés – et au fil des réseaux sociaux – des dirigeants et opposants de ce monde n’ont pas seulement pour mission de rapporter des baballes, mais aussi des bulletins de vote ou du charisme. Véritables catalyseurs de messages, de symbolisme, et armes parfaites pour lécher une image publique, les animaux de compagnie sont devenus des incontournables pour flatter les électeurs en catimini. Et ce n’est pas l’apanage des grandes démocraties, puisque chevaux, faune et zoos sont très prisés par les dictateurs de tous horizons pour frapper l’imagination collective et abreuver les mythes nationaux.
Lucas Jakubowicz pointe ce fait étrange : nul n’a jamais constitué de grand bestiaire international pour analyser cet outil de communication stratégique insolite. Il a donc pris le taureau par les cornes afin d’offrir une vue panoramique et critique sur l’utilisation des animaux par les bêtes politiques mondiales. La visite commence par les champions du monde de l’influence animalière : les États-Unis. On y décortique l’habile mise en scène de Champ et Major, les chiens adoptés par les Biden, tout comme celle de Marlon Bundo, le lapin familial de Mike Pence, dont la fourrure chaude a permis de redresser l’image d’un homme un tantinet glacial. Surtout qu’il ne fallait pas compter sur Donald Trump, cassant la tradition des chiens logeant à la Maison-Blanche.
Après ce tour d’honneur, l’auteur traverse l’Atlantique pour s’attarder sur la France, où les chiens furent nombreux à gambader sur les pelouses de l’Élysée. Le choix des races ne tient pas du hasard, comme le prouve la discrète sortie de scène du dogue argentin des Macron, à qui succédera Nemo, un labrador croisé plus rassembleur – l’image du labrador étant particulièrement prisée par l’opinion publique, apprend-on. Gérald Darmanin et Marine Le Pen, eux, misent avec succès sur la case « chats », au point que la symbolique frise parfois la caricature : en plein processus de dédiabolisation du parti Rassemblement national (ex-Front national) et de rupture avec le passé, l’un des félins de la candidate à la présidentielle s’est fait croquer par le doberman de son père, fondateur du mouvement politique ; animal revêche avec lequel il n’hésitait pas à s’afficher. Ça ne s’invente pas !
Une fois quelques exemples de démocraties disséqués, un tour du côté des gouvernements autoritaires révèle une tout autre approche de la manipulation animalière : la force du mythe national activée par les destriers blancs de Kim Jong-un, l’image virile et bienveillante de Vladimir Poutine entretenue par le côtoiement des bêtes sauvages de Sibérie, les preuves « d’humanité » des pires dictateurs de ce monde fournies par leur amour des zoos privés…
Un animal pour les gouverner tous n’est pas une simple galerie de portraits animaliers mignons étoffés d’anecdotes. On y creuse chiffres et statistiques pour tâcher de déterminer à quel point ce petit cirque médiatico-politique pèse dans la balance électorale. Un effet souvent flou et ardu à circonscrire, reconnaît l’auteur, qui pointe cependant sa force de frappe dans les réseaux sociaux – les publications mettant en scène ces animaux remportent parfois des palmes de visibilité, fracassant tous les records de partages et de mentions de certains comptes de candidats.
L’envers de ces petites combines communicationnelles en apparence anodines est également brillamment désossé, quels que soient les régimes politiques concernés. Même si l’ouvrage souffre de quelques petits défauts d’édition et finit abruptement, il regorge d’approches d’information originales et étonnantes.
Un chapitre canadien ?
Hormis une allusion aux labradors offerts par des organismes québécois aux présidents Hollande et Sarkozy, le livre ne s’attarde pas vraiment sur le Canada. S’il est vrai que du côté du Québec, les derniers premiers ministres en poste n’ont pas vraiment joué cette carte, on trouve néanmoins un peu de grain à moudre au fédéral : sur Instagram, la famille Trudeau distille à petite dose des photos de Kenzie, un chien d’eau portugais adopté en 2016… très semblable à Bo, le toutou d’un certain Barack Obama. Sophie Grégoire a aussi eu l’occasion de nous présenter Coton, un cochon d’Inde offert à l’un de ses fils. Quant au couple Harper, il était férocement féru de félins, ayant fait défiler une dizaine de chats au 24, promenade Sussex, ainsi qu’un chinchilla populaire nommé Charlie. Un appel au public avait notamment été lancé pour baptiser l’un des nouveaux chatons familiaux. Des suggestions émanant de citoyens québécois, comme « Bituminou » ou « Minouritaire », avaient été écartées au profit du plus raisonnable « Stanley ».
Un animal pour les gouverner tous
Arkhê
192 pages