La série Julia, présentée sur Crave, permet de découvrir ou de mieux connaître Julia Child. Dans les années 1960, elle a révolutionné la cuisine américaine avec la publication de son livre Mastering the Art of French Cooking et avec son émission de télévision, The French Chef. Retour sur son influence sur la société américaine avec plusieurs spécialistes et son petit-neveu, le journaliste Alex Prud’homme.

Julia Child est une pionnière américaine. Née en 1912, elle a initié les Américains à la cuisine française, mais aussi au plaisir de cuisiner et de déguster de bons petits plats. La série Julia (sur Crave) se déroule dans les années 1960, lorsque Julia Child (interprétée par Sarah Lancashire) et son mari sont de retour aux États-Unis, dans le Massachusetts, après avoir passé près de 15 ans en Europe. En 1963, elle fait ses débuts à la télévision avec son émission The French Chef, qui obtient un immense succès. Julia Child devient alors une célébrité, mais elle fera surtout évoluer les mentalités.

« Un vrai modèle »

Selon Paula Johnson, conservatrice au musée national de l’histoire américaine Smithsonian à Washington, Julia Child a inspiré plusieurs générations d’Américains. « Elle a vraiment changé la perception que les Américains se faisaient de la cuisine française », explique-t-elle en entrevue. Mme Johnson a rencontré Julia Child en 2001, et a passé plusieurs jours dans sa célèbre cuisine de Cambridge, près de Boston, pour répertorier tous ses ustensiles et casseroles qui sont conservés au musée, où sa cuisine a été recréée.

PHOTO JACLYN NASH, FOURNIE PAR LE MUSÉE NATIONAL DE L’HISTOIRE AMÉRICAINE SMITHSONIAN

Paula Johnson, conservatrice au musée national de l’histoire américaine Smithsonian à Washington

« C’était merveilleux de côtoyer Julia Child. Elle était brillante, généreuse et chaleureuse, comme à la télévision ! C’est un vrai modèle, pour sa persistance, son audace, sa curiosité. Elle a travaillé très fort, et c’est grâce à sa personnalité et à sa vivacité d’esprit qu’elle a su transmettre toutes ses connaissances, et changer les croyances. »

Un avis que partage sœur Angèle, qui estime que Julia Child a beaucoup fait pour les femmes.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Sœur Angèle

Elle nous a ouvert la voie. Il fallait être solide à l’époque pour s’imposer dans un milieu très masculin, ce n’était pas évident, surtout aux États-Unis ! Elle m’a inspirée, et c’est un modèle pour l’avancement des femmes.

Sœur Angèle

« Elle croyait en ce qu’elle faisait et elle pensait que c’était important. On lui doit une fière chandelle », indique sœur Angèle, qui croisait Julia Child dans les grands salons culinaires internationaux, dans les années 1980.

Rien n’est impossible

Nicole-Anne Gagnon, professeure de cuisine à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec, admire la façon de foncer de Julia Child. « Quelle force de caractère ! Ça m’impressionne, car elle avait du cran, elle semblait n’avoir peur de rien et c’est ça qui est inspirant. » Mme Gagnon rappelle qu’elle s’est inscrite à Paris à l’école Le Cordon Bleu, où elle était la seule femme, en plus d’être américaine.

« Le message qui résonne encore aujourd’hui, c’est que rien n’est impossible. S’affirmer comme femme dans les années 1960, ce n’était pas évident, surtout dans un milieu masculin. Ça prenait tout un tempérament et peut-être même un peu d’insouciance, croit la professeure. Julia Child était brillante et elle osait être elle-même. »

La nutritionniste Hélène Laurendeau estime que la cuisinière et animatrice était une femme d’avant-garde, émancipée et libre. « Elle aimait la vie et avait envie de faire partager sa fougue, son amour de la bonne cuisine au plus grand nombre. »

Elle a aussi eu la chance d’avoir été entourée de femmes émancipées comme elle et d’être en couple avec un homme féministe qui l’aimait et l’admirait.

Hélène Laurendeau, nutritionniste

Elle souligne que ce n’est pas donné à tous d’être une bon communicateur, mais Julia Child avait ce talent.

Paula Johnson se souvent d’une grande pédagogue passionnée. Elle n’est pas étonnée qu’encore aujourd’hui, on parle de l’héritage de Julia Child. « Elle s’était donné une mission, celle de transmettre ses connaissances au grand public, dans le plaisir, car cuisiner, c’est aussi s’amuser et le plaisir de partager un bon repas entre amis. Je croise des jeunes au musée qui s’intéressent à la gastronomie, et qui voient Julia Child comme une icône et qui font ses recettes intemporelles. Et pour ceux qui se disent qu’ils doivent tout accomplir dans la trentaine, Julia Child a commencé The French Chef à 51 ans ! »

Julia est présenté sur Crave.

Consultez le site de The Julia Child Foundation (en anglais)

« La révolutionnaire à perles »

Alex Prud’homme est journaliste. Il est le petit-neveu de Julia Child avec qui il a coécrit My Life in France, où elle raconte les années de 1948 à 1954, alors qu’elle vivait à Paris et Marseille. Ils ont travaillé ensemble pendant huit mois jusqu’à ce que la cuisinière meure dans son sommeil, deux jours avant son 92anniversaire, en 2004. Il a terminé sans elle le livre, devenu un succès de librairie dès sa publication, deux ans plus tard. Il a inspiré la moitié du film Julie & Julia qui met en vedette Meryl Streep, sorti en 2009.

« Julia, c’était ma grand-tante, raconte-t-il en entrevue. Son mari, Paul, était le frère jumeau de mon grand-père. J’ai grandi avec eux, ils n’avaient pas d’enfants, alors c’est comme si nous avions été leurs enfants, mes sœurs et moi. » Alex Prud’homme croit que Julia aurait aimé voir à quel point son histoire touche les gens, encore aujourd’hui, que ce soit avec le film Julie & Julia ou avec la série télévisée Julia, où on retrouve son esprit et sa joie de vivre.

PHOTO SARAH B. PRUD’HOMME, FOURNIE PAR ALEX PRUD’HOMME

Alex Prud’homme et Julia Child en 2004

« La marraine de la révolution culinaire aux États-Unis »

« Julia Child a vraiment été la première célébrité de la cuisine américaine. C’est la marraine de la révolution culinaire aux États-Unis, c’est son legs et c’est pour cela qu’on parle encore d’elle aujourd’hui, parce qu’elle a exercé une grande influence. Elle a été en couverture du magazine Time en 1966, trois ans après ses débuts à la télévision, c’était un phénomène ! », explique-t-il.

« Je l’appelle la révolutionnaire à perles, car elle portait toujours un collier de perles. C’était une femme qui était tellement charmante, imprévisible, drôle.

Elle était modeste, mais elle avait cette incroyable étincelle et un talent naturel pour la télévision !

Alex Prud’homme, journaliste et petit-neveu de Julia Child

« Elle a su transmettre son amour pour la cuisine, elle a su convaincre les Américains de ne pas manger des choses toutes prêtes dans les boîtes de conserve, ce que voulait l’industrie agroalimentaire de l’époque, mais de relever ses manches, se salir, et de préparer un bon repas, dans la joie et avec des ingrédients frais, ajoute-t-il. C’était vraiment révolutionnaire ! »

PHOTO FOURNIE PAR LA SCHLESINGER LIBRARY, RADCLIFFE INSTITUTE, UNIVERSITÉ HARVARD

Julia Child prépare des artichauts.

« Il faut s’amuser »

Le plus grand conseil de Julia Child ? « Il faut être prêt à prendre des risques en cuisine, et si ça ne se passe bien, ne jamais s’excuser du résultat, car il faut s’amuser ! C’était une leçon de vie qui a eu de l’effet sur les femmes, les hommes et les enfants aussi ! »

Selon lui, Julia Child est arrivée au bon moment avec le bon message. « Les Kennedy étaient à la Maison-Blanche au début des années 1960, ils avaient un chef français, René Verdon. Les États-Unis traversaient une bonne période, beaucoup d’Américains voyageaient. À New York, il y avait de plus en plus de restaurants français. C’était un bon timing et la télévision devenait un média dominant dans ces années-là. Elle a eu un bon instinct. »

Et lui, sait-il cuisiner ? « J’ai de la chance, toute ma famille adore cuisiner ! Pas simplement Julia ! Ma grand-mère, mes oncles et tantes, j’ai été très gâté. On cuisinait avec Julia, à New York chez nous, on allait chez Julia et Paul à Cambridge ou en Provence puis en Californie. On entrait dans la cuisine qui était le quartier général de la maison, et on l’aidait à laver la laitue, à mettre la table, et on cuisinait tous ensemble ! À l’Action de grâce, elle cuisinait la dinde, trois différentes sauces de canneberges, des choux de Bruxelles. On apprenait en étant autour d’elle et on s’amusait vraiment beaucoup. »