Quel étudiant n’a pas déjà révisé jusqu’au petit matin la veille d’un examen important ? Ne s’est pas maudit d’avoir trop procrastiné en enfilant son troisième café de la nuit ?

C'est l’apothéose de l’expérience universitaire.

Pendant la fin de session, les étudiants se retrouvent souvent forcés d’écourter leur sommeil pour rattraper la montagne d’examens à réviser et de travaux à rendre. Parfois jusqu’à faire une nuit blanche.

Sont-ils d’inassouvissables perfectionnistes ? Des procrastinateurs au-delà de tout espoir ? Ou alors des étudiants à leurs affaires, mais qui croulent sous une charge irréaliste, venant à manquer d’heures dans une journée ?

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L’ouverture prolongée de la bibliothèque était une demande des étudiants.

Pour le savoir, nous avons passé une partie de la nuit* à la Bibliothèque des lettres et des sciences humaines (BLSH) de l’Université de Montréal, ouverte 24 heures sur 24 pendant la période des examens de fin de session.

Le soir tombé, l’édifice de sept étages situé sur le campus principal devient l’habitat naturel d’étranges oiseaux de nuit caféinés, perchés au-dessus de leur ordinateur portable.

En fin de session, la bibliothèque est un peu comme notre deuxième maison.

Lucas Marchais

Il est 22 h. L’étudiant en musique numérique a la tête dans ses cahiers depuis la fin de l’après-midi. Il doit remettre un essai le surlendemain, en plus d’étudier pour ses examens. Une nuit blanche en vue ?

« Ça va dépendre de comment j’avance dans mon travail, mais généralement, au plus tard, je pars vers 4 h-5 h du matin. Ça m’est déjà arrivé de passer la nuit entière », répond-il.

À cette heure déjà tardive, quelques centaines d’étudiants sont entassés à la bibliothèque, plongés dans leurs manuels. Et ce n’est pas une soirée particulièrement occupée, estime Maryna Beaulieu, directrice de la BLSH.

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Pendant la période des examens, la bibliothèque offre un espace tranquille, propice aux séances d’études intensives.

« Quand j’arrive très tôt le matin, je croise souvent des étudiants et c’est évident qu’ils ont passé la nuit ici. L’hiver, on les voit en pantoufles ! », s’exclame-t-elle.

Depuis 2011, l’Université de Montréal allonge les heures d’ouverture de sa plus grande bibliothèque pendant la fin de session, et plus récemment la mi-session. Elle n’est pas la seule à le faire, l’Université McGill et l’Université Concordia en font autant pour leur communauté.

L’ouverture prolongée de la bibliothèque était une demande des étudiants, affirme Mme Beaulieu. Pendant la période des examens, elle offre un espace tranquille, propice aux séances d’études intensives.

« On a aussi des étudiants qui ont besoin d’heures d’ouverture variées, par exemple les étudiants parents ou les étudiants qui travaillent », ajoute-t-elle.

Une énergie monstre requise

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Étudier toute la nuit exige un certain niveau de préparation.

Passé minuit, les noctambules expérimentés sont repérables au nombre de gobelets de café vides, de canettes de Monster Energy et de chargeurs de toutes sortes qui jonchent leur bureau.

« En période d’examens, ton cycle de vie est inversé. Tu dors le jour et tu reviens la nuit », lance Stanislaw Pytelewski, casquette noire vissée sur la tête.

La veille, l’étudiant en cinéma est resté à la bibliothèque jusqu’à 6 h du matin. Et le voilà qui se prépare pour une deuxième nuit blanche consécutive.

Mais est-ce que ce n’est pas un peu malsain ? On le sait, l’anxiété de performance est un problème chez les étudiants, et le manque de sommeil ne doit certainement pas aider…

Pas le choix, laisse tomber l’étudiant. « Des fois, en une semaine, tu as quatre examens de quatre cours différents », déplore-t-il.

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Stanislaw Pytelewski, étudiant en cinéma

Tu as plein d’étudiants qui sont en burn-out, qui font des dépressions, qui lâchent les études. Je me dis qu’il y a peut-être un problème dans notre façon de faire.

Stanislaw Pytelewski, étudiant en cinéma

Justement, le fait d’ouvrir les bibliothèques pendant la nuit n’envoie-t-il pas un mauvais message aux étudiants ?

« On en est conscients. On le présente comme un choix pour ceux qui doivent se rabattre là-dessus […] En même temps, je pense que le besoin est là », répond Maryna Beaulieu, directrice de la BLSH.

Personne ne les oblige à sacrifier leur sommeil, ont souligné plusieurs étudiants à La Presse.

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Étienne Plouffe, étudiant en architecture

« On le fait parce qu’on veut avoir un projet dont on est fier et qu’on sait qu’on a donné le maximum », explique Étienne Plouffe, étudiant en architecture.

À quelques kilomètres de la bibliothèque, une trentaine d’étudiants en architecture finalisent leurs projets dans les ateliers du pavillon de la faculté de l’aménagement.

Penché sur la maquette d’une école primaire, Jean-Simon Bissonnette est un habitué des nuits blanches. « C’est difficile sur le corps, mais on est tous perfectionnistes et on veut donner le meilleur de nous-mêmes », confie-t-il.

Voir le lever du soleil

De retour à la bibliothèque, l’énergie commence à décliner. Certains étudiants ont attrapé le dernier métro. Mais les plus motivés n’ont pas bougé.

Pourquoi ne pas étudier dans le confort de sa maison ? « Quand tu es ici, ça te motive. Tu te dis, OK, je ne suis pas toute seule », répond Ghita Hilout, étudiante en mathématiques et économie.

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Ghita Hilout, étudiante en mathématiques et économie

Ce sera sa troisième nuit blanche de suite. Étonnamment, elle trouve du plaisir dans ces aventures nocturnes : la solidarité entre les étudiants, la satisfaction de vivre l’expérience universitaire à fond…

Quand le sommeil la gagne, elle s’étend parfois sur une table ou sur l’un des fauteuils aménagés à cet effet au dernier étage jusqu’au spectacle de l’aube.

« J’aime voir le lever du soleil ! », s’exclame-t-elle.

* Vaincus par la fatigue, nous avons quitté la bibliothèque vers 2 h 30 du matin. Au moins trois étudiants que nous avons interviewés nous ont confirmé le lendemain être restés debout jusqu’à 6 h, voire plus tard.