« Heille, c’est ton projet ! » « Ça nous ressemble ! » « C’est ce qu’on a vécu ! »

Quand ils ont vu passer la bande-annonce du dernier film de Louise Archambault, Le temps d’un été, une poignée de personnes marginalisées ont été particulièrement touchées. Pour cause : elles aussi, il y a 10 ans, ont eu la chance de passer des vacances mémorables pour le moins inusitées.

Le temps d’un été, en salle depuis vendredi, raconte l’histoire a priori farfelue d’un curé endetté, qui décide d’emmener une bande de personnes en situation d’itinérance passer les grandes vacances sur le bord du fleuve, dans un domaine dont il vient d’hériter.

L’histoire semble tirée par les cheveux, et pourtant, c’est avec la même volonté d’« offrir du rêve » que Nancie Martineau, organisatrice communautaire, a emmené, à l’instar de Patrice Robitaille dans le film, une douzaine de personnes en situation d’itinérance quelques jours à Cuba. Intimement convaincue que les voyages changent la vie, elle a récidivé l’année suivante au Maroc, puis en Équateur, et enfin au Costa Rica.

« On évolue selon notre environnement, explique la baroudeuse, en entrevue de Gatineau. Sortir ces gens-là de leur quotidien, les envoyer ailleurs, cela leur permet de se questionner : où je m’en vais ? » Loin de leurs repères, ils peuvent « comparer la misère », comme elle dit. Et cela crée des « déclics », elle en est convaincue.

Pour mener à bien son projet, Nancie Martineau a travaillé d’arrache-pied avec son groupe de volontaires aussi bigarrés qu’écorchés. Pendant des mois, ils ont organisé des levées de fonds, vendu des hot-dogs, et surtout mis de côté une portion de leur prestation d’aide sociale, pour arriver à vivre ce rêve inespéré.

Et puis ? « Ça m’a redonné le goût de vivre », confirme Suzanne Villeneuve, qui est passée par la prostitution, la toxicomanie, même la prison, avant de s’envoler pour Cuba en 2012 (son premier voyage d’une série de trois). « Ouf, j’ai fait bien du chemin depuis ! […] Le voyage, mon Dieu ! Ça m’a tellement montré comment il faut apprécier ce qu’on a ! […] Ça m’a ouvert les yeux ! […] J’ai vu des gens heureux avec rien ! […] J’ai réalisé qu’il y avait autre chose dans la vie, que je valais la peine et que moi aussi, je peux rêver. Pour ça, il faut faire des choix : changer de mode de vie et mettre ses priorités à la bonne place ! » Elle en sait quelque chose, ayant dû arrêter de fumer pour économiser. « Et je ne fume plus depuis ! »

PHOTO FOURNIE PAR NANCIE MARTINEAU

Le groupe en voyage au Maroc avec Nancie Martineau et d’autres bénévoles

Ce n’est pas tout : l’ex-prostituée ne vit plus de l’aide sociale, travaille à temps partiel en soins à domicile et a tissé de solides liens avec plusieurs néo-voyageurs rencontrés lors de ces périples outre-mer. La semaine prochaine, ils ont même prévu d’aller voir le film de Louise Archambault « en gang ».

Trop beau pour être vrai ? « Il faut le vivre pour le croire », répond Nancie Martineau, qui a vu des « changements de comportements incroyables » en voyage. « Les gens s’épanouissaient. J’avais affaire à d’autres personnes ! » Certes, certains ont malheureusement disparu depuis, mais d’autres, dont Suzanne Villeneuve, se sont drôlement pris en main.

PHOTO ÉTIENNE RANGER, ARCHIVES LE DROIT

Sur cette photo de 2012, après le voyage à Cuba, avant le départ pour le Maroc : en avant, les participants Suzanne Villeneuve et Georges Lévesque, ainsi que l’organisatrice Nancie Martineau. Au milieu, les bénévoles Véronic St-Pierre, Gaétan Lavoie et Geneviève Rollin. En haut, les participants Ronald Jean et Marie Richard, ainsi que la bénévole Francine Rondeau.

N’empêche qu’à l’époque, rappelle Nancie Martineau, l’affaire a soulevé bien des vagues, plusieurs commentateurs ayant vu d’un mauvais œil ces prestataires de l’aide sociale partir en voyage dans le Sud. Nancie Martineau en garde un souvenir légèrement amer. « Là, c’est cute tout à coup parce que c’est au cinéma. C’est de la fiction. Mais quand on le fait en vrai, glisse la bénévole au grand cœur, on voit beaucoup le phénomène “pas dans ma cour”… »

À noter qu’un puissant documentaire retraçant l’expérience (et les propos de ses détracteurs), signé Alexandre Desjardins, a été réalisé à l’époque.

Visionnez le documentaire

Ça se passe aussi à Oka

  • L’organisme PAS de la rue organise des séjours de « répit » au domaine Juliette-Huot à Oka, propriété des Petits Frères.

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    L’organisme PAS de la rue organise des séjours de « répit » au domaine Juliette-Huot à Oka, propriété des Petits Frères.

  • Les fiers participants devant le domaine à Oka

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    Les fiers participants devant le domaine à Oka

  • À l’instar des personnages du film Le temps d’un été, les participants vivent ici des vacances.

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    À l’instar des personnages du film Le temps d’un été, les participants vivent ici des vacances.

  • « J’ai remarqué des liens d’amitié qui se sont créés dans la durabilité », témoigne Bernard Bazouamon, administrateur du C.A. du PAS de la rue.

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    « J’ai remarqué des liens d’amitié qui se sont créés dans la durabilité », témoigne Bernard Bazouamon, administrateur du C.A. du PAS de la rue.

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L’organisme PAS de la rue, qui vient en aide aux personnes de 55 ans et plus en situation d’itinérance ou de précarité, organise lui aussi et depuis 10 ans deux semaines de « répit » par année au domaine Juliette-Huot à Oka, propriété des Petits Frères. Après un hiatus de trois ans, une douzaine de participants doivent y séjourner à nouveau cet automne. « C’est un endroit fantastique, se félicite Bernard Bazouamon, administrateur du C.A. du PAS de la rue. Et ça permet aux participants de se changer les idées et de tisser des liens. » L’idée du séjour est née à la suite d’une activité d’un jour. « On a commencé par faire un pique-nique d’une journée et on voyait des liens se tisser, se souvient-il. On voyait la tension qui baissait et on s’est mis à réfléchir : et si on isolait ces gens de l’agressivité de la ville, ce serait peut-être bénéfique au niveau mental ? » Depuis, il ne voit que du bon dans l’initiative. S’il y a parfois quelques soucis question « discipline », concède-t-il, « les bénéfices sont énormes. […] J’ai remarqué des liens d’amitié qui se sont créés dans la durabilité. Même l’attitude des gens a changé : au retour, ils sont plus frais et dispos envers les intervenants. L’attitude change radicalement ».