C’est la saison du chandail bedaine. Ils l’ont osé. Et adopté. Oui, oui, des hommes. « À tous les hommes qui aimeraient porter un crop top, mais qui hésitent à le faire : go for it ! »

C’est une journée d’une chaleur écrasante. Comme la veille et l’avant-veille. Assis à l’ombre d’un arbre, Marc Shakur exhibe son ventre à la vue des passants. Chaque été, la même parade recommence. À la première chaleur, les chandails rapetissent, les ourlets retroussent, les nombrils s’affichent.

Ces dernières années, le chandail bedaine (crop top) semblait réservé aux femmes. Mais la mode évolue. Les mentalités aussi. Dans la rue, des hommes l’assument. Pourquoi s’en priver ? « Ça serait bien qu’éventuellement, les gens s’en foutent et portent ce qu’ils veulent », philosophe Marc Shakur.

Le crop top est devenu un incontournable de sa garde-robe. Le premier lui a été donné par la copine d’un voisin au début de la pandémie. Depuis, sa collection s’est agrandie. Pas assez à son goût, cela dit.

L’été, il fait partie intégrante de sa rotation vestimentaire, même si l’automne est de loin la « meilleure saison pour les crop tops. ». « C’est d’abord pour le style que j’en porte. En plus, c’est rafraîchissant », explique le trentenaire d’origine syrienne.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Marc Shakur qui porte des crop tops

Involontairement, c’est aussi un peu un acte de rébellion. Le chandail bedaine brouille les codes du genre et ébranle les représentations sociales de la masculinité. Lui-même en a fait l’expérience. Il s’est déjà fait questionner sur son orientation sexuelle ou son identité de genre à cause de son style vestimentaire. « Je suis définitivement hétéro », clarifie-t-il.

Je suis attiré vers des trucs qui sont conventionnellement féminins, mais je ne me sens pas moins homme pour autant.

Marc Shakur

« C’est juste du tissu », fait valoir Tomy-Jo Tremblay-Lafontaine. Il possède lui aussi « une couple de crop tops ». Parfois, il en pige dans le garde-robe de sa copine.

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Tomy-Jo Tremblay-Lafontaine

Ce n’est pas une revendication politique. Simplement une question de préférence. « Pourquoi on ne s’habillerait pas en fonction de ce qu’on aime ? », se demande-t-il.

Une tendance qui revient

Ce ne serait pas la première fois que des hommes arborent le chandail bedaine. « La tendance remonte aux années 1980 », soutient le chercheur en patrimoine de la mode Philippe Denis. Les athlètes professionnels, en particulier les joueurs de football, coupaient leur chandail dans le but de baisser leur température corporelle durant l’effort. Au cinéma aussi, les ventres s’affichaient sans pudeur. Johnny Depp, Sylvester Stallone et Will Smith ont tous porté un haut court à l’écran.

  • Johnny Depp

    CAPTURE D’ÉCRAN

    Johnny Depp

  • Will Smith

    CAPTURE D’ÉCRAN

    Will Smith

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Qu’est-ce qui s’est passé ? À quel moment a-t-il été rejeté par les hommes, en particulier les hommes hétérosexuels ? C’est qu’il aura été d’abord et avant tout récupéré par la communauté LGBTQ+. « Certains membres de la population hétérosexuelle vont le porter, mais ça va rester marginal », soutient Philippe Denis.

Et il sera encore moins courant au tournant des années 2000. À l’époque, c’étaient surtout les femmes qui le portaient. « Un homme n’y pensait même pas », raconte-t-il.

Ça dérangeait. Un homme qui se promène torse nu ? Aucun problème ! Un homme en chandail bedaine ? « Soudainement, il y avait une connotation sexuelle », note Philippe Denis.

Mais tranquillement, les mentalités évoluent. En juillet, le New York Times publiait un article sur le retour en force du haut court chez les hommes. Le chanteur canadien Shawn Mendes a aussi récemment posé le ventre à l’air pour la marque Tommy Hilfiger. « Les hommes ne devraient pas avoir peur de porter des crop tops », avait-il déclaré.

Si la tendance revient, le contexte, lui, est différent. « Il y a un flou qui est apparu, un désir de ne plus associer un vêtement à un genre. C’est une préoccupation très forte aujourd’hui, alors qu’elle ne l’était pas nécessairement il y a 40 ans », observe Philippe Denis.

Repenser les modèles

Or, la tendance n’est pas sans controverse. Certains y voient une forme d’appropriation de l’esthétique associée à la communauté queer. Comme si elle n’était devenue cool qu’une fois embrassée par la population hétérosexuelle.

Héctor Lamilla y voit plutôt du positif. « Les gars ont de moins en moins peur de l’étiquette gai », observe-t-il. L’étudiant en mode a « enlevé l’étiquette du genre au vêtement ».

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Héctor Lamilla

Le jour de l’entrevue, il porte des shorts en denim intentionnellement trop larges et des lunettes de soleil réfléchissantes. Coupé aux ciseaux, son t-shirt rouge laisse deviner un bout de peau. « C’est très dur d’en acheter en magasin », explique-t-il. Couper ses chandails à la main, c’est la solution qu’il a trouvée.

La démonstration que l’industrie de la mode est en retard par rapport à l’évolution des mœurs, explique Philippe Denis. Pendant des années, le canon de la mode masculine était l’homme blanc hétérosexuel. « Ce modèle est tranquillement en train de s’effriter, affirme-t-il. On essaie de le revoir, de le changer, de l’interroger. »