La mise en place de toilettes mixtes pour accueillir les élèves trans dans les écoles a ressurgi à l’Assemblée nationale la semaine dernière, incitant le ministre de l’Éducation à en interdire l’implantation. Un geste qui va à l’encontre de pratiques favorisant la sécurité et le bien-être de jeunes personnes trans, selon des intervenants, des parents et des ados.

L’interdiction d’implanter des toilettes mixtes en milieu scolaire a franchement étonné Élianne*, jeune femme trans de 18 ans. La position prise par le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, va selon elle directement à l’encontre d’un problème soulevé par des élèves de son ancienne école secondaire et d’une solution trouvée par la direction de cet établissement situé à Sherbrooke.

« L’une des deux salles de bains réservées aux filles a été transformée en salle de bains neutre », raconte-t-elle. Sa mise en place a été décidée dans la foulée d’une pétition d’élèves réclamant des lieux d’aisance neutres (ou mixtes, ou non genrés) qui comptait plusieurs dizaines de noms, c’est-à-dire bien plus que le nombre d’ados trans fréquentant cette école. L’endroit compte deux cabines de toilettes et deux lavabos accessibles à tous qu’Élianne fréquentait sans crainte, contrairement aux toilettes pour filles ou garçons.

Jacob, étudiant non binaire de 18 ans, n’avait pas cette option à son école secondaire du quartier Rosemont, à Montréal.

Comme je ne suis pas très masculin, je ne me sentais pas en sécurité dans la toilette des garçons. J’allais dans celle des filles, mais je me faisais regarder weird.

Jacob, étudiant non binaire de 18 ans

Cet inconfort, Zest, garçon trans de 14 ans, le ressent tant dans la toilette des filles que dans celle des garçons à son école du centre de Montréal. « On dirait que je ne suis pas censé être là, dit-il. Comme ma transition n’est pas complétée, si je vais chez les garçons, j’ai peur qu’ils me prennent pour une fille. Je ne veux pas vivre une situation comme ça, alors je ne prends pas le risque. » Ce qui veut dire que, par crainte d’être intimidé, il évite souvent d’aller aux toilettes à l’école. Ce qui lui a causé des soucis de santé, précise sa mère Alysia Melnychuk.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Zest et sa mère, Alysia Melnychuk

Toilettes mixtes interdites

Parler d’accès aux toilettes peut sembler anecdotique. C’est loin d’être le cas pour de nombreuses personnes trans et non binaires, confirme Jorge Flores-Aranda, professeur à l’École de travail social de l’UQAM. « Beaucoup de ces personnes sont victimes de violence dans les toilettes », ajoute son collègue Martin Blais, professeur de sexologie à la même université. Le fait que cet endroit soit soustrait aux regards des adultes en fait notamment un lieu propice à l’intimidation dans les écoles, signalent plusieurs intervenants.

En milieu de semaine, la question des toilettes est devenue un sujet chaud à l’Assemblée nationale après qu’une école secondaire de l’Abitibi eut annoncé vouloir implanter des toilettes mixtes. Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a associé cette tendance à une idéologie portée par la « gauche radicale », comme l’écriture inclusive. Le ministre de l’Éducation, lui, a mis un stop à ce genre d’opération, s’inquiétant notamment que la proximité fasse en sorte que les garçons se moquent des filles qui ont leurs règles, et plaidant pour la mise en place d’un comité d’experts pour guider son ministère.

« Ça, ça m’a vraiment insultée », lance Geneviève Ste-Marie, mère de deux enfants trans de 15 et 18 ans, et coordonnatrice de l’organisme TransEstrie. « Il pense que tous nos enfants sont des cancres misogynes qui s’attaquent aux jeunes filles qui ont leurs menstruations ? Ben voyons ! On est en 2023 ! Et si on en est encore à se dire que les garçons rient encore des menstruations des filles, c’est peut-être qu’il y a un problème avec l’éducation sexuelle des enfants. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Maël et sa mère, Geneviève Ste-Marie

Ce qui a choqué Élianne, c’est que la discussion se déroule en vase clos. « On n’a pas entendu une seule personne trans. Ils ne considèrent pas les voix des personnes trans », déplore la jeune femme, qui étudie désormais au cégep. Jacob juge quant à lui qu’on instrumentalise un groupe de personnes « qui veulent juste vivre leur vie comme les autres ».

Protéger qui ? De quoi ?

Jorge Flores-Aranda et Martin Blais relèvent que l’appropriation d’enjeux concernant les communautés trans par certains partis politiques est faite à des fins électoralistes. « Dans le cas du Parti conservateur [fédéral], c’est assez clair », souligne M. Blais.

Martin Blais constate aussi une forme de renversement de la responsabilité dans la façon dont le débat est posé.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Martin Blais

On fait reposer la menace sur les personnes trans, comme si elles représentaient une menace à la sécurité des personnes cisgenres et une atteinte à la pudeur.

Martin Blais, professeur de sexologie à l’UQAM

L’une des craintes exprimées plus ou moins directement par certains parents, c’est que les toilettes mixtes facilitent les agressions perpétrées sur les filles cisgenres. « Ça, ça veut dire que les filles ne se sentent pas en sécurité quand il y a des gars autour », souligne Élianne, sous-entendant que cette crainte-là n’est pas fondée sur la présence de personnes trans. « Les directions d’école se préoccupent plus des réactions des parents des enfants cisgenres que de la sécurité des enfants trans, dénonce quant à elle Geneviève Ste-Marie. Ce qu’on demande aux élèves trans, c’est de prendre des moyens pour ne pas embêter les élèves cisgenres. »

Il n’existe pas de solution magique ni parfaite pour résoudre le problème « dans une société construite sur la binarité », estime Jacob. L’implantation de toilettes mixtes, non genrées donc, et accessibles à tous, semble toutefois une solution qui fait consensus ou presque parmi les intervenants et les ados interviewés. Ce type de lieux d’aisance est constitué d’un alignement de cabines fermées du sol au plafond et de lavabos accessibles à tous.

« Quand elles sont bien faites, les toilettes mixtes sont les plus sécuritaires et les plus intimes. Je pense que c’est un avantage pour tout le monde », estime Kim, intervenante à l’Aide aux trans du Québec. C’est la solution que choisirait Zest. « Je me sens plus à l’aise dans les toilettes mixtes, dit l’ado de 14 ans. Je ne sens pas que mon genre est un problème ou que je ne suis pas comme les autres. »

Martin Blais signale que ce genre d’installation n’a rien de nouveau et qu’il s’avère une option sécuritaire pour tous. « Des villes et des institutions ont mis sur pied des toilettes non genrées et on n’a pas vu le nombre d’agressions augmenter, dit-il, et la victimisation des personnes trans, elle, diminue dans des contextes comme ceux-là. »

*Seul le prénom de certaines personnes trans citées est utilisé pour préserver leur anonymat.

Lexique trans

Trans

Terme parapluie désignant toute personne ne s’identifiant pas à son genre assigné à la naissance

Non binaire

Personne qui ne s’identifie ni au genre masculin ni au genre féminin et rejette cette vision dite « binaire » de l’être humain. Une personne non binaire peut adopter des pronoms associés à l’un ou l’autre des genres (« il/lui » ou « elle ») ou demander à ce qu’on la désigne par le néologisme « iel ».

Cisgenre

Personne dont l’identité reflète le genre assigné à la naissance, par opposition à une personne trans ou non binaire