Notre journaliste se balade dans le Grand Montréal pour parler de gens, d’évènements ou de lieux qui font battre le cœur de leur quartier

Même si un incendie a fait craindre le pire à ses propriétaires, La Vieille Europe s’apprête à célébrer son 65anniversaire. Mardi dernier, la porte d’entrée de la célèbre épicerie fine de la Main était toujours condamnée, mais les clients affluaient comme à l’habitude.

Quand Paulo Raimundo est arrivé sur les lieux en pleine nuit et qu’il a vu les dizaines de pompiers à l’œuvre, jamais il n’aurait cru que le commerce du boulevard Saint-Laurent qu’il possède avec deux autres amis d’origine portugaise pourrait rouvrir de sitôt. « C’était un désastre », raconte l’un des trois copropriétaires de l’épicerie.

Steve Da Silva, aussi copropriétaire avec Nelson Santos, nous montre sur son téléphone des photos des deux bureaux de l’étage qui ont été dévastés par les flammes et tous les débris qui ont jailli au rez-de-chaussée. « Grâce aux employés, à des voisins et à des amis, nous avons réussi à nettoyer les dégâts et à rouvrir 27 heures plus tard », explique-t-il avec soulagement en précisant ne pas connaître encore la cause de l’incendie survenu le 10 novembre.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Les copropriétaires Steve Da Silva et Paulo Raimundo. Absent lors de la prise de la photo, Nelson Santos.

Les plafonds de stucco, le mobilier en bois, la machine à torréfier le café : tout est encore là, sans compter les quelque 5000 produits qui sont sur les rayons. « Nous avons toujours trouvé ça important de garder le cachet ancien. Nous avons des clients de très longue date et on ne veut pas qu’ils soient dépaysés », souligne Steve Da Silva.

La petite histoire

Le 1er janvier, cela fera 24 ans que Steve Da Silva est copropriétaire de La Vieille Europe. « Mon père était là 17 ans avant moi. »

Mais retournons encore plus loin dans le temps, en 1959. À l’origine, un couple juif, les Litvak, a ouvert ce qui s’appelait autrefois l’Old Europe Meat Market. Treize ans plus tard, alors que les affaires allaient mal, un employé de confiance, Jose Castanheira, lui a proposé de redorer le blason de la boucherie. Il est ensuite devenu propriétaire.

Les pères de Steve Da Silva et Nelson Santos ont repris le flambeau, puis leurs fils ont fait de même. Ces derniers ont ensuite convaincu leur ami Paulo Raimundo de devenir leur associé, alors que ce dernier devait aller travailler comme... physiothérapeute en Californie !

Je travaille avec mes meilleurs amis.

Steve Da Silva, copropriétaire de La Vieille Europe

Un incendie à la fin des années 1970 a permis à La Vieille Europe de doubler sa superficie. Celui de la semaine dernière a plutôt fait craindre le pire à Steve Da Silva. « Pendant le feu, j’avais presque les larmes aux yeux. Je me disais : mais qu’est-ce que je vais faire ? »

Il fallait des flammes, confie-t-il, pour raviver celle qu’il éprouve envers le commerce dont il est devenu copropriétaire au début de la vingtaine, davantage par la force des choses que par vocation.

Le Petit Portugal

Paulo Raimundo a pour sa part commencé à travailler à La Vieille Europe bien malgré lui. « Ma famille habitait dans le quartier. Un jour, ma mère m’a pris par la main sans me dire où on allait. Quand nous sommes arrivés à La Vieille Europe, où elle venait souvent faire des courses, elle a demandé au patron s’il avait besoin de quelqu’un pour l’aider. »

La Vieille Europe est une épicerie de la Main que de nombreuses familles portugaises fréquentaient alors qu’on surnommait le voisinage le Petit Portugal.

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Silvia prépare et sert cafés et sandwichs.

Silvia fait partie des employés de La Vieille Europe depuis plus de 30 ans. « Depuis le 4 octobre 1993 », précise celle qui nous a servi un excellent cappuccino à l’italienne comme on les aime.

Silvia est très attachée à la Main et à l’ancien quartier portugais. « Je suis arrivée au Canada quand j’avais 15 ans. Je n’avais pas d’amis et je ne parlais pas français. Le Portugal me manquait, donc c’est ici que je me sentais chez nous. »

« La Main, c’est comme une famille », renchérit Steve Da Silva.

Quand nous avons eu le feu, tous les voisins sont venus nous encourager. C’est vraiment exceptionnel.

Steve Da Silva, copropriétaire de La Vieille Europe

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Certaines charcuteries rappellent l’époque de l’ancien quartier juif avant l’arrivée massive des immigrants portugais.

Pour bien des gens, La Vieille Europe constitue une présence rassurante sur le boulevard Saint-Laurent. Peut-être encore plus depuis que le Main Deli a fermé en mai dernier.

La torréfaction du café

Chose certaine, il est dangereux d’entrer dans La Vieille Europe le ventre vide. On trouve près de 250 sortes de fromages, des charcuteries, et quelque 5000 produits rares et recherchés. Des produits locaux et importés, dont des gâteaux aux fruits de Noël allemands Stollen et du fromage portugais de brebis Serra Valmadeiros. C’est aussi la saison des panettones !

La Vieille Europe est l’un des premiers endroits au Québec où le café a été torréfié sur place. « C’était avant-gardiste et on vend toujours beaucoup de café », souligne Steve Da Silva.

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On torréfie le café dans cette machine Probat.

Pendant que nous discutions avec Paulo Raimundo, un client fidèle lui a demandé si on pouvait déjà commander le fromage stilton infusé au porto (sur place). On a pris soin à la caisse d’inscrire son nom et son numéro de téléphone pour le rappeler quand ce sera le temps.

Il ne faudrait pas oublier un aspect important : la relation qui s’est créée à La Vieille Europe avec les clients de longue date.