(Londres) Des chats aux peluches en passant par les emojis, l’exposition Cute, qui débute jeudi à la Somerset House de Londres, invite à réfléchir sur l’influence du « mignon » dans notre quotidien, un concept plus riche et complexe qu’il n’y paraît à première vue.

À la veille de l’ouverture au public, le centre d’art situé au bord de la Tamise a accueilli les premières visiteuses de l’exposition : des influenceuses en uniformes d’écolières japonaises, robes Hello Kitty ou bonnets Pikachu, qui se prêtent au jeu des photos pour leurs milliers d’abonnés.

Avec des œuvres d’art mais aussi de nombreux clips, jeux vidéo ou des mèmes partagés sur les réseaux sociaux, le musée londonien, revêtu de couleurs pop, fait le pari de transposer entre ses murs une culture principalement virtuelle, qui s’est diffusée dans le monde avec l’explosion de l’internet.

La première salle de Cute est entièrement dédiée aux chats, vedettes du net par excellence, et juxtapose des photographies de félidés en noir et blanc datant du XIXe avec des portraits de chatons arc-en-ciel futuristes créés grâce à une intelligence artificielle.

Un peu plus loin, un collage d’angelots bouclés de la Renaissance, premiers « bébés mignons » de l’histoire de l’art, se mélange avec des peluches, mangas et figurines emblématiques de la culture « kawaii », apparue au XXe siècle au Japon, et qui a pour traduction « mignon » ou « adorable ».

Ce concept du « mignon » est si vaste que même Claire Catterall, la curatrice de l’exposition, peine à y apporter une définition : « il est glissant, très délicat à définir, et c’est ce qui le rend intéressant, car il peut être une multitude de choses à la fois », indique-t-elle à l’AFP.

Dans les sections séparées par des arches en forme de chat ou d’arc-en-ciel, les œuvres contemporaines cohabitent avec des produits commerciaux – comme les célèbres jouets Tamagochi ou Sylvanian Families – preuve que le « mignon » est, avant tout, une industrie qui brasse des milliards de dollars.

L’exposition Cute est d’ailleurs commanditée par la société japonaise Sanrio, qui commercialise dans le monde entier les produits dérivés du célèbre chaton Hello Kitty, créé il y a près de 50 ans.

« Prendre au sérieux »

Quelques visiteurs passent sous une arche à l’effigie du personnage, dont des dizaines de peluches de toutes les couleurs recouvrent les murs, et vont se trémousser sous la boule à facettes de la discothèque Hello Kitty.

« La culture du “mignon” et le capitalisme sont étroitement liés, ce qui met parfois les gens très mal à l’aise », souligne Claire Catterall, mais en même temps, « ce qui a été engendré dans ces structures peut aussi être ce qui les perturbe le plus ».

Après avoir été longtemps moqués ou adoptés de façon ironique, cette esthétique et ses codes vestimentaires sont aujourd’hui plébiscités par de nombreux jeunes, parce qu’ils permettent « d’exister en dehors des normes », pour les femmes et les personnes queer notamment, ajoute-t-elle.

« Cette exposition montre qu’il s’agit de quelque chose qu’il faut prendre au sérieux et qui peut nous en dire beaucoup sur nous même et sur le monde qui nous entoure », estime la curatrice.

Cute met aussi brièvement en avant une dimension plus politique du « mignon », dans une section où l’on trouve une cagoule rose fuchsia du groupe de punk rock féministe russe Pussy Riot, connu pour ses actions contre le président Vladimir Poutine dans des tenues pop provocantes.

Alors que les expositions et musées « immersifs » se multiplient un peu partout dans le monde, Cute, ouverte au public jusqu’au 4 avril, mise, elle, aussi sur l’interactivité.

Les spectateurs peuvent ainsi y tester des jeux vidéo japonais vintage dans une salle d’arcade ou de se relaxer lors d’une « soirée pyjama » dans une immense chambre d’ado avec des poufs et musiques pop, créée par l’artiste britannique Hannah Diamond.

« C’est exubérant, excitant, stimulant […] le “mignon” n’est pas juste une esthétique, c’est un sentiment : nous voulions créer un endroit où les gens peuvent venir danser, se sentir bien », souligne Claire Catterall, loin des angoisses et des mauvaises nouvelles du quotidien.