Jean, 55 ans, est un colosse doux comme un agneau. Sa voix au timbre chaud est empreinte de gentillesse. Il fait partie du club depuis de nombreuses années. Il est aveugle de naissance et personne n’affiche autant de résilience que lui.

ILLUSTRATION ANDRÉ RIVEST, LA PRESSE

Sa routine est minutieusement réglée : serviette, sandales et bonnet de bain sont soigneusement rangés pour pallier son handicap visuel. Il prend toujours le même couloir pour nager. Son bras frotte toujours le cordon flottant qui sépare les couloirs pour qu’il puisse se repérer dans la piscine.

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Lors des compétitions, nous devenons ses yeux. Il est tellement docile qu’il est facile de l’oublier lors de ces sorties. Après une éreintante journée de compétitions, les autres athlètes se sont réunis dans la chambre de l’entraîneur pour fraterniser. Incapable de s’y rendre seul, Jean était discrètement resté dans sa chambre.

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Lors des compétitions, sa routine est partiellement brisée, mais il nous laisse le guider… aveuglément. Loin d’être une corvée, cette tâche représente pour nous un véritable honneur. En temps normal, je me rangerais derrière sa puissante charpente pour me protéger, mais là, c’est moi qui tiens le rôle de protecteur et lui évite les écueils. Jean aura toujours besoin d’une assistance immédiate et c’est ce qui suscite l’inquiétude.

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Il vit toujours à la maison familiale située à la campagne avec sa mère de 87 ans en perte d’autonomie et sa sœur, qui se charge d’eux. Puisqu’il est le cadet d’une famille de 13 enfants, on se dit qu’il y aura toujours quelqu’un pour s’occuper de lui, qui est si peu exigeant. Pour leur compliquer la tâche, la MRC d’Autray vient d’annoncer sans préavis que le transport adapté ne serait plus assuré le dimanche, jour d’entraînement de natation. Dur coup pour ce colosse au cœur tendre qui nage depuis l’âge de 6 ans. Mais surtout pour sa famille qui doit maintenant assurer le transport.

Je ne m’inquiète pas tellement pour son sort. Nul n’est plus résilient que lui et sa grande gentillesse constituera un atout pour lui trouver un foyer d’accueil aimant. Go Johnny Go.

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Il préfère les Salebarbes

Perdre un sens aiguise les autres. Jean a l’ouïe très fine. Très pratique dans un univers de béton aussi bruyant qu’une piscine, où se répercutent les cris, les clapotis et les bruits de succion des pompes filtrantes qui avalent l’air à cause des vagues.

Pas besoin de grands indices sonores pour que Jean sache qui est là et à quelle distance. Nous avons inventé un petit jeu de complicité. Lorsque j’arrive à sa hauteur, je chantonne un air que lui seul entend. Ainsi, il a découvert Radiohead, lui, fidèle auditeur de Radio Saint-Gabriel, il préfère les Salebarbes.

Karma police, arrest this man

He talks in maths,

he buzzes like a fridge

He’s like a detuned radio