Bravo, vous êtes sur le point d’avoir traversé le mois le plus long.

Novembre a le don de nous rappeler notre vulnérabilité. On a beau connaître le scénario par cœur, les mines se font plus basses et l’espoir plus rare. Notre écoanxiété bouillonne devant des terrasses remplies ; le soleil nous dit bonne nuit avant le souper ; la dépression saisonnière murmure « coucou » ; et on n’a même plus d’épisode de Chouchou et d’Avant le crash pour engourdir la morosité de nos soirées...

Novembre est interminable. Le pire des mois, selon certains. (J’en suis.)

Ma patronne à La Presse en pense toutefois autre chose. Elle m’a fait part d’un débat qui divise ses collègues : la triste réputation de novembre est-elle surfaite ? Selon Isabelle, on est dans le champ. Après tout, c’est le mois qui nous mène droit vers les Fêtes, les loisirs et nos proches... Qu’est-ce que mars a de positif à offrir, lui ? Rien.

Quel est donc réellement le pire mois de l’année ?

Je vous donne deux divulgâcheurs : 1) c’est relatif à la situation de chacun ; 2) c’est une question bien moins légère qu’elle ne le paraît.

Vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’il n’existe pas de verdict clair quant à cet enjeu. J’ai donc moi-même sondé une part de la population — une part sans doute trop homogène pour être approuvée par la science, j’ai nommé : mes amis Facebook. J’ai tout de même récolté plus de 250 réponses à la question « Quel est le pire mois entre novembre et mars, à vos yeux ? ».

Si l’échantillon n’est pas fiable, je le trouve vaguement impressionnant.

De grandes tendances se sont rapidement dessinées.

Si certaines personnes aiment bien novembre parce que les Fêtes approchent, d’autres détestent ce mois pour la même raison. Pour elles, il est synonyme de solitude à venir, d’isolement et de deuil.

Certains perçoivent plutôt novembre comme le début d’un long marathon. On sait ce qui nous attend : des semaines de problèmes de stationnement et de trottoirs glacés. Mars signe au moins la fin du parcours.

Quoique la chose puisse aussi être vue à l’opposé, comme en fait foi la réponse de l’auteur d’humour Antoine Desjardins : « Novembre est très nul, mais au moins, il ne vient pas avec une accumulation de mois de marde avant lui. »

Parmi les défenseurs de mars, on trouve toutefois pour arguments les degrés qui remontent, le ski de printemps, les cabanes à sucre et la semaine de relâche. (J’imagine que ce qui est vu comme un avantage par le corps enseignant peut aussi être un point négatif pour certains parents.)

Il demeure qu’environ la moitié des sondés estiment que mars est le pire des mois. Celui des faux espoirs, en fait. On croit en avoir fini avec l’hiver, mais on se trompe ; les sports sont limités et noyés dans la slush ; c’est le début de la saison des impôts... Pire encore, c’est le mois où on est censés être joyeux.

En novembre, au moins, c’est commun de s’avouer triste.

(C’est là que la profondeur de la question surprend.)

« À titre indicatif, le mois de mars est tristement célèbre pour son taux plus élevé de suicides, avec avril et mai. Des expert-es expliquent ces statistiques par le fait que les gens déprimés s’accrochent parfois à l’aura de renouveau associé à l’arrivée du printemps et de l’été. L’espoir que la souffrance se diluera au gré de la fonte des neiges. Pour certaines personnes déjà déprimées, le printemps déçoit et accentue les souffrances. P.-S. Allez chercher de l’aide si vous vous sentez concerné-es, vous n’êtes pas seul-es ! »

C’est ce que Julie Christine Cotton a répondu à ma question, sur Facebook. J’ai appelé la professeure à la faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke pour en savoir plus.

Celle qui enseigne au département des sciences de la santé communautaire m’a appris que si on connaît bien le déficit de sérotonine qui peut survenir à l’automne, on oublie parfois que le printemps affecte lui aussi des gens.

Pour certaines personnes qui vivent avec des troubles dépressifs, par exemple, cette saison paraît comme une occasion de renaissance ratée...

« Pour avoir vécu une dépression post-partum, je me reconnais là-dedans, confie Julie Christine Cotton. La lumière est vive, tout le monde est énervé à l’idée que le printemps arrive, tu te demandes : “Pourquoi je ne ressens pas ce tressaillement-là, moi aussi ?” Tu attends que cette magie survienne. »

Quand la magie n’est pas au rendez-vous, mars et les mois qui suivent peuvent nous peser comme un élan manqué. Selon la docteure en psychoéducation, l’automne et le printemps sont donc deux saisons idéales pour prendre des nouvelles de nos proches.

Catherine Ethier a parfaitement raison quand elle nous invite à offrir une petite lasagne aux gens qu’on aime.

Lisez la chronique de Catherine Ethier

Et si la cuisine n’est pas votre fort, pourquoi ne pas inviter un ami à faire une marche ?

« On a tendance à faire moins d’activités avec le retour du froid, remarque Julie Christine Cotton. On sait qu’il y a des hausses d’inscriptions au gym, en janvier. Les gens sont alors en aval des répercussions d’automne — le manque de lumière, l’isolement et la déprime —, mais le meilleur moment pour avoir des bonnes habitudes de vie, c’est peut-être justement à l’automne, en prévention. »

Ce serait bien si mars et novembre pouvaient devenir les mois de la main tendue, de la petite lasagne et de la marche santé. Parce qu’on s’entend que les deux sont tout aussi moches, finalement.

Comme me l’a fait remarquer le chroniqueur Marc-André Mongrain, Tom Waits résume plutôt bien la situation, dans la chanson November...

« November has tied me to an old dead tree / Get word to April to rescue me »

« Novembre m’a enchaîné à un vieil arbre mort / Dites à avril de me secourir. »