L’été est une saison compliquée faite de douceurs et d’injonctions.

C’est celle de toutes les promesses. Normal, donc, qu’elle nous jette quelques déceptions à la figure. Ou, du moins, son lot de pression.

Les terrasses, fêtes au parc et festivals appellent à la légèreté. L’ivresse crie notre nom au détour de chaque ruelle, mais une science de plus en plus claire nous apprend qu’il faut se méfier de l’alcool davantage qu’on l’a cru. On devrait ralentir, être conscients, s’étourdir autrement.

Et on a tellement besoin de s’étourdir, rendu ici. De retrouver un élan, quitte à tourner sur nous-mêmes...

À l’aube des vacances – quand on a le luxe de se les permettre –, on court pour tout boucler, question d’arriver, peut-être, à éventuellement décrocher. Et on nous le répète, hein : on-doit-décrocher. On n’a que deux semaines pour se recharger les batteries, faudrait pas passer à côté ! Performons jusque dans notre repos.

Heureusement, la détente se trouve un peu plus facilement sous les rayons doux. On se réjouit de pouvoir offrir un brin de peau au soleil et de sentir la brise filer le long de ses jambes. Du même coup, on est nombreuses à se rappeler que son corps est davantage commenté, loin de son armure hivernale. Parfois convoité, parfois jugé, dans les deux cas objectivé.

Sans manteau pour se cacher, on redevient corps dans l’espace. Notre privé se fait public.

On ne s’arrête pas pour autant. On retrouve l’exaltant sentiment de liberté que procure notre vélo et on rêve de mouvement. C’est juste qu’au même moment, la ville nous rappelle qu’elle peut se refermer sur nous en un instant. Tous et toutes ne sont pas les bienvenus dans ses rues.

Qu’importe. On profite de notre été autant qu’on le peut parce qu’on sait que les prochains seront plus chauds, plus dangereux.

On part le climatiseur en se demandant où tracer la ligne entre notre confort et notre écoanxiété.

On enfile les crèmes glacées en se faisant croire qu’on est capable de les digérer. (On n’est pas capable de les digérer.)

On ne sait plus trop sur quel pied danser, entre les délices de quelques mois qui passent trop vite et leurs impératifs qui rappellent notre vulnérabilité.

L’été, c’est la saison des dichotomies pas toujours simples à gérer. C’est celle qui nous expose entièrement. C’est l’amie qui nous fait un peu chier parce qu’elle est trop franche.

Alors qu’est-ce qu’on fait ? On s’évade un brin. On consulte les palmarès des « meilleures lectures de plage » et on se lance dans des mondes ludiques, lugubres ou romantiques. Tant qu’ils nous sortent de nous.

Et ça tombe bien, chaque année, on a droit à diverses listes qui nous promettent qu’on ne se cassera pas la tête si on plonge dans les livres qu’elles proposent. Parce que, rappelons-le : on ne doit pas passer à côté de la chance de décrocher.

Et si j’adhère à la proposition de lire pour éviter de regarder ma personne, mes concitoyens ou notre avenir dans les yeux, j’ai quand même un petit malaise quand on fait rimer « lectures d’été » et « légèreté »…

Il faut un véritable talent pour faire rire ou rêver. Il n’y a rien de léger dans le travail d’auteurs qui arrivent à être suffisamment bons pour nous permettre d’oublier nos soucis (ou juste de nous éloigner de notre téléphone pendant cinq minutes).

Je crois aussi que plusieurs titres qui ne sont pas répertoriés comme « lectures de plage » ont pourtant de quoi nous aider à nous réconcilier avec nos paradoxes estivaux.

Il y a des livres parfaits pour l’été, mais peut-être trop frontalement rigoureux pour être vendus comme tels.

D’ailleurs, puisqu’il s’agit de ma dernière chronique avant les vacances, je me permets de vous recommander trois essais pour faire (un peu) la paix avec vous-mêmes.

L’été vous confronte quant à votre corps ? Vous vous questionnez sur sa beauté, sa force, sa place dans le monde ? Alors, il faut lire l’essai Mise en forme (Cheval d’août), de Mikella Nicol. L’autrice y dissèque brillamment les promesses de l’industrie du conditionnement physique et les déceptions qui en jaillissent. Un récit lucide, personnel et touchant. Des idées qui brassent.

L’été et ses appels au repos vous mettent le nez dans votre propre fatigue ? C’est du côté de la professeure de philosophie Véronique Grenier que vous devez vous tourner. Son essai À boutte : une exploration de nos fatigues ordinaires (Atelier 10) offre une riche réflexion sur les causes de notre épuisement et le rapport tordu que nous entretenons avec celui-ci. C’est brillant et plutôt déculpabilisant.

L’été exacerbe votre écoanxiété ? Trouvez un semblant de contrôle grâce à How to Prepare for Climate Change : A Practical Guide to Surviving the Chaos (Simon & Schuster, 2021). L’essai du journaliste américain David Pogue n’a pas encore été traduit en français, mais je me permets de le nommer puisqu’il est rempli d’outils pour maintenir un confort relatif, malgré les transitions intenses qui nous attendent. Un thème abordé ailleurs et dans plusieurs langues, vous me direz. Oui, mais d’une façon particulièrement pratico-pratique, ici.

Il existe également plusieurs livres au sujet du microbiome, si vous voulez en savoir plus sur votre rapport complexe avec la crème glacée…

De rien.

Sur ce, je m’en vais lire, plutôt qu’écrire. Je reviendrai dans les parages dans quelques semaines. D’ici là, n’oubliez surtout pas de décrocher !

Mise en forme

Mise en forme

Cheval d’août

176 pages

À boutte

À boutte

Atelier 10

78 pages

How to Prepare for Climate Change : A Practical Guide to Surviving the Chaos

How to Prepare for Climate Change : A Practical Guide to Surviving the Chaos

Simon & Schuster

624 pages