Quand j’ai compris que je n’avais plus à craindre de chercher un appartement qui permet les animaux, ce qui est devenu aussi rare que la marde de pape comme on dit, j’ai voulu un chat.

Après une pandémie, le deuil de mes beaux-parents, un déménagement, des travaux, la paperasserie d’une succession, et la signature de nos testaments, l’amoureux et moi, j’avais besoin d’un peu de lumière, disons. Ça me manquait, la présence d’un chat, ce que je n’avais pas vécu depuis des lustres, et dans la maison Usher dont je vous ai souvent parlé, il y en a toujours eu, pendant 50 ans. Presque tous des chats noirs errants et pas commodes, apprivoisés par mon beau-père, qu’on ne pouvait jamais flatter.

Nanette, petite British Shorthair de 4 mois, est arrivée dans nos vies et a rapidement été acceptée par Angie, notre shih tzu adorée, qui avait besoin d’une amie, je crois.

J’avais oublié la grâce et le réconfort du ronronnement d’un chat. Nanette est en train de devenir ma boule antistress que je tripote une fois par heure, tandis qu’Angie poursuit sa mission de me faire rire tous les jours. En une semaine, elles sont devenues copines comme cochons et elles dorment maintenant avec moi dans mon lit. J’ai de plus en plus l’impression d’être dans le Dialogues de bêtes de Colette.

Ayant grandi avec des félins dans mon enfance, j’étais convaincue d’être plus de type chat, avant de devenir dingue des chiens dans ma trentaine. L’arrivée de Nanette me confirme que je suis aux deux.

Je n’ai jamais été sans chat ou sans chien, mais l’engagement envers un animal a bien changé depuis mon enfance. Quand j’étais petite, on choisissait un chaton de la portée de la chatte du voisin lorsque le matou de la maison avait disparu pour de bon. Je n’ai jamais vécu l’euthanasie d’un vieux chat tout simplement parce que dans ce temps-là, les chats disparaissaient un jour dans leurs aventures, écrasés par une voiture, assassinés par des psychopathes ou aimés ailleurs par des voleurs d’animaux. Nos minous étaient libres et revenaient au bercail (quand ils revenaient) parfois maganés ou engrossées. Aucun n’était vacciné ou stérilisé. Nous nous souvenons du nom de chacun : Marmine, E.T. (l’année du film de Spielberg), Fifille, Charlot, Gobelet.

Ce dont je me souviens surtout est qu’à l’époque, on ne demandait jamais la permission au proprio pour avoir un animal de compagnie, et qu’on trouvait nos animaux n’importe où.

Les temps ont bien changé. Sans surprise, alors que nous sommes dans une grave crise du logement, « l’une des premières causes des abandons est la difficulté de trouver un appartement abordable qui accepte les animaux », me confirme Laurence Massé, directrice générale adjointe de la SPCA Montréal. Viennent ensuite les problèmes comportementaux, surtout pour les chiens, et c’est l’une des conséquences de la pandémie quand beaucoup de gens se sont rués vers des chiots qui ont parfois été mal socialisés, ou qui souffrent d’anxiété depuis que leurs maîtres sont retournés au bureau ou ont eu un enfant. Enfin, il y a l’inflation. Les coûts pour les soins vétérinaires et la nourriture peuvent devenir un gros problème pour les gens en difficulté financière.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Nanette

Bref, crise du logement, inflation et impact de la pandémie ont fait que la SPCA est en train de connaître l’une de ses plus grosses années, on s’en doute. Ça se reflète notamment dans le nombre d’animaux errants qui sont des « abandons déguisés », estime Laurence Massé : 226 animaux de plus qu’à la même période l’an dernier. Ce n’est pas que les gens sont sans cœur, même s’il y a des irresponsables ; ils sont souvent mal pris et ont peur d’être jugés.

Mais à la SPCA, insiste Laurence Massé, on ne juge pas. On veut prévenir et aider. On y offre des services d’adoption où l’on tente le mieux possible de trouver le match parfait, la possibilité d’être famille d’accueil si on ne veut que tester la compatibilité avec un animal, des programmes de banque alimentaire et de stérilisation à bas coûts pour les gens à faibles revenus (le programme Mittens).

Car ce n’est pas parce qu’on est en difficulté qu’on devrait être privé du bonheur d’avoir un animal de compagnie – pour beaucoup de gens, c’est souvent le rare bonheur qui reste.

L’arrivée de Nanette m’a beaucoup fait réfléchir à l’adoption d’un chat. J’ai pris ça très au sérieux, car pour moi, c’est pour la vie, et je voulais que ça se passe bien avec mon chien. C’est pourquoi il faut se préparer à la venue d’un animal, ne jamais y aller d’un coup de tête, et encore là, on n’évite pas les erreurs. J’ai fait toutes les gaffes possibles avec mon premier chien, Sissi, achetée dans une animalerie (première erreur) il y a 20 ans, parce que j’ai craqué devant ses yeux tristes. Malgré ma stupidité, elle a tout de même été un ange (un peu névrosée) jusqu’à sa fin, dans mes bras et mes larmes chez le vétérinaire. Mais j’ai beaucoup appris sur la responsabilité d’avoir un animal, et je dis souvent que ce sont mes deux défunts chiens qui m’ont éduquée à être une meilleure personne avec les animaux.

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Nanette et Angie devant des gâteries

Avant d’avoir Nanette, j’ai passé des semaines à « faire mes recherches », je me suis abonnée à plein de pages sur Facebook, et ça m’a donné le tournis. Je ne savais pas qu’il y avait autant de chats et de chatons à donner. Je me suis tournée vers une éleveuse certifiée, exaspérée par une offre démentielle, qui m’a tenue au courant du développement de Nanette jusqu’à son arrivée. Quand on pense qu’ils étaient introuvables pendant la pandémie, assez pour que les gens se rabattent sur les lapins… D’ailleurs, la SPCA a eu un gros volume de lapins après ça, peut-être aggravé par l’explosion du prix des laitues à un moment donné.

À voir le nombre de chatons offerts gratuitement comme des poches de mulots, il est clair en tout cas que trop peu de gens font stériliser leurs chats.

Laurence Massé me raconte une anecdote révélatrice : la SPCA a dû aller chercher plus de 90 chats chez une dame qui avait adopté au début de la pandémie un mâle et une femelle pas opérés – comme quoi ça peut fournir, ces petites bêtes-là. « Ça montre les dangers de la non-stérilisation », explique Laurence, qui souligne que la SPCA a aussi une brigade qui stérilise les chats vivant dans les communautés – vous savez, ces minous qui vivent à temps partiel chez un peu tout le monde.

Je finis par demander si, au Québec, nous sommes en retard quant aux droits des animaux, si nous ne sommes pas un peu restés dans une mentalité des années 1970 où on prend et on laisse les bêtes selon les aléas de la vie. En 2015, il y a eu une avancée, me dit-on à la SPCA Montréal : une nouvelle disposition du Code civil reconnaît que les animaux sont des êtres sensibles et non des biens. Par contre, nous sommes en retard en ce qui concerne l’interdiction des animaux dans les logements, des clauses qui ont été abolies en France et en Ontario, un cheval de bataille pour la SPCA.

Aussi, nous ne sommes que 2 % au Québec à prendre des assurances pour les soins vétérinaires de nos petites bêtes, comparativement à 30 % chez nos voisins ontariens – je pense très sérieusement à m’y mettre pour la première fois, car j’ai dû sortir mes REER pour soigner mes chiens quand ils sont devenus vieux. Ce serait une bonne protection pour Nanette et Angie qui sont encore jeunes et que je veux garder le plus longtemps possible. J’ai bien l’intention de vous donner de leurs nouvelles une fois de temps en temps, soyez prévenu.