Émilie Perreault s’avoue orgueilleuse. Rire d’elle-même n’a jamais été chose facile pour elle. Puis, il y a eu Hans…

C’est son fils qui a inspiré Henrigolo, le premier album jeunesse de l’animatrice, journaliste culturelle et autrice. Dans le magnifique livre publié aux éditions Fonfon, on suit un garçon prêt à faire rire de lui si ça peut illuminer le visage d’autrui. Tout ce qui compte, c’est de semer la joie !

« Un jour, Hans est revenu de l’école et m’a dit : ‟Tu sais, maman, moi, je fais rire de moi” », raconte Émilie Perreault. Elle a tout de suite pensé intervenir, blessée à l’idée que son fils puisse subir de l’intimidation, mais elle l’a laissé se raconter… Puis, elle a compris qu’il était heureux d’avoir pu faire rire quelqu’un qui n’avait pas le sourire facile.

De la générosité pure, mêlée à une impressionnante absence d’égo.

L’anecdote a permis à Émilie de mesurer l’ampleur de l’autodérision de son enfant, alors qu’elle partait de loin sur ce plan…

Hans adore se déguiser. Je lui ai acheté un costume gonflable de Bob l’éponge pour l’Halloween et, en plein mois d’août, il m’a demandé s’il pouvait le mettre pour aller se promener sur l’avenue du Mont-Royal. Je n’avais aucune raison de lui dire non, à part que c’était gênant pour moi… J’ai vu mon fils semer du bonheur pendant une heure. Les gens prenaient des photos, souriaient, lui parlaient. C’est lui qui avait raison, pas moi !

Émilie Perreault

Comment mettre de côté notre fierté et apprendre à se moquer de soi-même ? Pour Émilie Perreault, l’autodérision est devenue une aptitude à développer. Mais pourquoi valorise-t-on tout particulièrement cette forme d’humour ?

L’autrice réfléchit un instant avant de me répondre : « Il y a un acte de courage là-dedans. Ça appelle à une certaine humilité, on se rapproche peut-être un peu plus de la vérité. »

J’ai aussi posé la question à Lucie Joubert, directrice de l’Observatoire de l’humour.

« C’est une posture confortable, pour soi et pour l’entourage ; on la voit comme une façon de rire avec les autres plutôt que de rire des autres. On valorise l’autodérision parce qu’on se dit : cette personne voit ses propres travers avant de parler de ce qui cloche chez le voisin. »

Si l’essayiste souscrit complètement à cette idée, elle émet toutefois un bémol quant à la valorisation de l’autodérision chez les femmes.

« L’humour est un pouvoir, on le sait. Or, ce pouvoir était jusqu’à il n’y a pas si longtemps exclusivement masculin et les rôles étaient très clairs : les hommes faisaient les blagues, les femmes les riaient. Au mieux, on tolérait que les femmes fassent de l’humour pourvu qu’elles rient seulement d’elles-mêmes. […] À cet égard, Hannah Gadsby est un modèle : l’Australienne a dit en plein spectacle qu’elle était écœurée de faire de l’autodérision. Elle regrettait de s’être systématiquement choisie comme cible parce que même si c’est fait sous le couvert de l’humour, cela peut être cruel. »

L’autodérision porte-t-elle le même poids chez tout le monde ?

Émilie Perreault a réfléchi à la question. Elle trouve le discours de l’humoriste Hannah Gadsby (tiré de son formidable spectacle Nanette) tout à fait valide et observe même un impact culturel dans sa propre difficulté à rire d’elle-même. Elle me résume un commentaire laissé sous l’une de ses publications sur Instagram : « En tant que filles, on a été élevées avec la pression d’être adéquates. Si tu ris d’un de mes travers, je sens que je ne le suis pas. »

Pour rire de soi, il faut donc se défaire des sirènes de la perfection, sans pour autant tomber dans l’autoflagellation.

« À mon sens, être cruelle contre soi, même pour faire rire, c’est une forme très insidieuse d’un rabaissement qui peut servir à cristalliser ce que j’appelle ‟la haine de soi”, poursuit Lucie Joubert. Les filles ont de la difficulté à s’aimer comme elles le sont (physiquement et mentalement). L’humour leur sert de soupape, peut-être, mais sont-elles vraiment obligées de se dénigrer ? Si on parle de l’autodérision comme d’un regard affectueux qu’on porte sur nos travers, une sorte de conscience bienveillante de nos failles, je veux bien. C’est la preuve qu’on ne se prend pas au sérieux et qu’on ne s’estime pas au-dessus de la mêlée. Mais alors, il faudrait que tout le monde en fasse l’expérience […] Plus on a de pouvoir, moins l’exercice est tentant. Faire de l’autodérision, c’est aussi accepter de se placer en situation de vulnérabilité. »

Vrai ! Mais comme me le fait remarquer Émilie Perreault, ça peut également être une reprise de contrôle. Je serai la première à rire de ce qui vient de me tomber dessus…

Il s’agit pour elle de dédramatiser des situations, puis de prendre conscience de la fabuleuse contagion qu’exerce un rire sincère, même s’il est causé par un de nos travers. En ce sens, Henrigolo répond très bien au mandat.

Le livre regorge d’informations sur le rire, le rapport qu’entretient le peuple innu avec celui-ci et la façon dont il peut changer l’état des choses. Le tout est magnifiquement illustré par Josée Bisaillon, qui a rempli les pages de bonnes blagues visuelles…

« Jamais je ne me serais illustrée aux toilettes, lance Émilie Perreault en louangeant l’humour et sa comparse. C’est une rieuse ! Un enfant rit en moyenne 300 fois par jour et un adulte, environ 20 fois. Sachant ça, Josée Bisaillon doit avoir 4 ans ! »

Peut-être qu’on devrait tous chercher à avoir 4 ans, au fond. (Si vous êtes un homme de pouvoir, vous pouvez imaginer que je prends une seconde de plus pour vous regarder, vous tout particulièrement, avec un tendre sourire en coin.)

Henrigolo

Henrigolo

Fonfon

32 pages