Il essuie sa main avant de me la tendre en s’excusant ; il était en train de boire du sirop d’érable à même le gallon. Il enchaîne en me demandant ma date de naissance. « Tu devrais parler à un astrologue, la lune pourrait essayer de te dire des choses dans les prochains jours. »

Je tombe immédiatement sous le charme de Glen LeMesurier, qui n’a visiblement rien à faire du petit bavardage. Il me demande si je veux des enfants, si je suis en amour, ce que j’espère tirer de notre entrevue…

Ses questions pourraient être intrusives, mais elles ne le sont pas. L’artiste (Scorpion, ascendant Taureau) est intéressé et joueur. Ses yeux sont francs, son sourire chaleureux.

Il me propose qu’on aille s’asseoir dans le Jardin du crépuscule, l’espace vert de la rue Van Horne qui abrite une cinquantaine de ses sculptures. Je jette un dernier regard aux pièces de métal qui jonchent son atelier, puis je le suis en faisant un suivi au sujet du sirop d’érable… « Vous en buvez souvent ? »

Il profite de quelques lampées à l’occasion, mais il utilise principalement le liquide pour nourrir des animaux autour de l’atelier. Le pot vide lui sert ensuite dans le cadre de son travail.

Son travail, vous le connaissez peut-être. Ça fait 25 ans que Glen LeMesurier enjolive Montréal avec ses œuvres. Il a créé plusieurs jardins de sculptures, accordé une trâlée d’entrevues et s’est fait une tonne d’amis à travers le processus (des amis qui lui prêtent de l’argent, apprendrai-je bientôt).

Parce que l’argent est un problème. Il l’a toujours un peu été. Glen LeMesurier ne crée pas pour s’enrichir ; quand la Ville lui commande une œuvre, il tente de convaincre les comités décisionnels qu’il en faudrait plutôt trois pour améliorer les lieux. Puis, il les réalise, même si le budget n’est pas exactement au rendez-vous.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Des sculptures de Glen LeMesurier sur la piste Des Carrières

« Je n’ai pas le choix ! J’analyse l’environnement et je vois que c’est ce qui est nécessaire ! »

Si la situation financière du sculpteur a toujours été précaire, elle vient de prendre un nouveau tournant. Le coût mensuel de son studio – qu’il occupe depuis 1997 – a récemment doublé, dit-il. Les coûts relatifs à ses œuvres (matériaux, assurances, entretien, etc.) augmentent aussi. Cette conjoncture bouleverse l’avenir professionnel de l’artiste, grand amoureux de Montréal.

Il estime avoir créé plus de 230 sculptures exposées gratuitement au public dans les quartiers du Mile End, d’Hochelaga, de Rosemont et de Verdun, entre autres. Et fait moins connu : on trouve aussi une quarantaine de ses œuvres dans le parc régional de Saint-Bernard-de-Lacolle.

Glen sort un citron, un presse-citron et deux tasses de son sac à bandoulière. Il concocte une limonade en observant son Jardin du crépuscule.

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Glen LeMesurier

Il y a des gens qui dorment ici, des amoureux qui se baladent, une femme qui fait du tai-chi et un homme qui prie presque chaque jour. Ça fait des années que l’espace est utilisé par le public. Ce n’est pas une galerie ni un musée, c’est un lieu d’émerveillement.

Glen LeMesurier

Il m’explique voir la ville comme un rêve. Ses sculptures, ce sont des métaphores poétiques de ce qu’il perçoit en elle et en nous. En les exposant, il croit attirer des gens intéressants, comme des satellites gravitant autour d’une même vision.

Parmi eux, Corey Dickinson, un cartographe qui vient tout juste de créer une carte numérique de Montréal comprenant toutes les œuvres publiques de Glen. Il m’a confié avoir été attiré par la nature transgressive du travail de l’artiste : « Je trouve que son art est vraiment intéressant, dit-il. Des matériaux recyclés, tordus en de nouvelles formes et placés dans des endroits surprenants, transforment quelque chose qui pourrait traditionnellement être considéré comme ‟moche” en quelque chose de beau. »

En quelque chose de beau et réfléchi.

« Je fais le tour du monde pour voir des jardins de sculptures et rencontrer des artistes, précise Glen LeMesurier. Je veux savoir comment les œuvres sont faites, ce qu’elles veulent dire, d’où arrivent les gens, dans quel genre de lumière ils se retrouvent… Rien n’est aléatoire, dans ce travail. »

Il a d’ailleurs passé les derniers mois à écrire un livre au sujet de la manière dont la vélocité et le poids d’une sculpture agissent sur la personne qui la regarde, puis sur la façon dont l’art s’intègre dans l’environnement.

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Des sculptures de Glen LeMesurier sur la piste Des Carrières

Pour continuer à faire consciemment de la ville un rêve éveillé, il demande maintenant le soutien de la communauté.

Glen LeMesurier espère accumuler 10 000 $ d’ici la fin de l’année, grâce à une campagne de sociofinancement. C’est une première pour l’artiste, qui a pourtant l’habitude de compter sur les autres… Après tout, il arrête sans gêne des joggeurs quand il a besoin de bras pour installer une nouvelle sculpture.

« Je leur dis : “Si tu aimes l’art gratuit, tu dois faire ta part !” »

Les amis de Glen font la leur, en tout cas : « Je leur ai tous emprunté de l’argent ! » Il en rit et m’assure qu’aucun d’eux n’est fâché contre lui.

La somme amassée par la plateforme GoFundMe sera un moyen de plus pour l’aider à joindre les deux bouts et poursuivre ses activités. Mais que se passera-t-il s’il n’arrive plus à payer son studio ?

« Je dois être réaliste, répond-il. Ce sera probablement bye bye Charlie et la Ville sera prise avec un tas d’œuvres d’art. »

Mais il refuse d’y réfléchir davantage : « Je suis là pour encore quoi, 20 autres étés ? Aussi bien continuer à faire ce qui me rend heureux. »

Puis, il s’interrompt. La photographe Josie Desmarais vient d’arriver pour faire son portrait. Je remarque une inscription sur le chandail de ma collègue : « Ascendant anxieux ». Glen, lui, a déjà eu le temps de lui demander le jour et l’heure de sa naissance…

Consultez la page de la campagne de sociofinancement de Glen LeMesurier (en anglais) Consultez le site de Glen LeMesurier (en anglais) Consultez la carte de ses œuvres publiques dans l’île de Montréal