Plongée dans la maternité jusqu'au cou avec ses deux jeunes enfants, rescapée d'un accouchement difficile qui a laissé des séquelles, la journaliste et auteure Elsa Pépin vient de mettre au jour un livre qui raconte des histoires de gestation. On y retrouve la sienne, soit, mais aussi une douzaine d'autres, avec l'enfantement comme fil conducteur. Elle nous a parlé de la naissance de ce projet dans un café du Plateau Mont-Royal.

Le collectif Dans le ventre, que vous avez dirigé, regroupe 12 histoires de gestation et d'accouchement, incluant la vôtre. Comment l'idée est-elle venue?

Je me suis mise à écouter toutes mes amies qui me racontaient leurs expériences et j'ai réalisé à quel point chacune est personnelle. En fait, les histoires sont aussi variées que les femmes qui accouchent. D'un autre côté, il y a tout un discours qui veut généraliser ce qu'est un accouchement réussi... Et même si on est toutes très libres face à ce discours, on reste souvent avec des blessures, une déception, un sentiment que ça ne s'est pas passé comme on le voulait. Donc il y avait cet aspect de vouloir aller au-delà des idées reçues, en réunissant des auteures qui forment comme un choeur de femmes, qui ont chacune une tonalité, où elles racontent ce qu'elles ont traversé. Parce que oui, c'est vraiment une traversée!

Il y a une diversité d'expériences dans les histoires rassemblées dans le recueil. Comment ont-elles été choisies pour former un tout cohérent?

Il y avait évidemment l'idée d'avoir des expériences variées dans la façon dont c'est arrivé. Par exemple, on a des triplés (Mélissa Verreault), un enfant prématuré (Alexia Bürger), une femme qui accouche dans un stationnement (Anaïs Barbeau-Lavalette)... Donc oui, il y a toutes sortes de contextes, mais moi, ce qui m'importait surtout, c'était d'avoir des voix et des tonalités différentes. Il y a des textes plus poétiques, des textes qui sont dans le vif du sujet, d'autres qui ont un aspect plus tragique, d'autres encore qui sont dans un registre comique. C'est vraiment au-delà du témoignage: ce sont des écrivains, donc des gens qui, par la langue, vont revisiter leur expérience et en faire autre chose.

Chacun de ces récits nous entraîne dans la bulle de la personne qui l'a vécu. Tout le monde a accepté facilement de faire partager ce moment court, mais particulièrement intense dans leur vie?

En invitant ces auteures-là, j'ai été surprise que tout le monde accepte. C'est un espace extrêmement intime, très secret même, mais elles ont toutes dit oui dans la minute et ne se sont jamais rétractées. J'étais surprise de voir à quel point les gens avaient envie d'ouvrir cette fenêtre-là. Mais je pense qu'il y a une urgence à raconter ça, en fait. Et de pouvoir y retourner, sous forme de récit, je trouve ça beau, parce qu'on suspend le temps. Ce moment-là ne dure que quelques heures, mais comme Nancy Huston le dit dans la citation au début du livre, c'est comme un microcosme de la vie. Donc de le raconter, c'est de dilater la chose et d'essayer de voir ce qui s'est passé et ce qu'on en retient, en fait.

Des 12 récits, 11 sont racontés par des femmes et un, par un homme (Maxime Catellier). Pourquoi était-ce important d'aller chercher le point de vue masculin?

Ce n'est pas un livre seulement sur l'expérience physique de l'accouchement, c'est aussi sur la gestation, le fait de donner la vie, et je pense que pour les hommes aussi, c'est un événement marquant. Évidemment, l'idée n'était pas de faire cinq gars, cinq filles, parce qu'on parle quand même de ce qui se passe dans le ventre d'une femme. Mais Maxime a vraiment ce point de vue intéressant, où il est un peu en retrait de ce qui se passe: il va devenir papa, mais pour le moment, c'est juste une idée... Il y a beaucoup d'hommes qui deviennent pères au moment où le bébé sort, mais je pense que pour les femmes, ça commence avant, la grossesse nous prépare à ça... Et Maxime, il n'a pas raconté l'accouchement en tant que tel, parce qu'il disait que pour lui, ça appartenait à sa blonde. Ça confirme ce que je pensais, que c'est un événement qui nous appartient en propre.

Il y a souvent une urgence dans ces histoires d'accouchement et, parfois, le pire se produit. L'un des récits raconte la naissance d'un bébé qui n'a vécu que 30 heures...

L'accouchement, ça peut aussi être un deuil, et donner la vie, c'est également la possibilité qu'il y ait une mort. En fait, quand on regarde les statistiques d'il y a 100 ans, ça arrivait à une femme sur deux de perdre un bébé ou de mourir en couches. Et moi, si j'avais été en Nouvelle-France, je serais morte à mon premier enfant! Ça nous fait réaliser aussi à quel point c'est fragile; ce n'est pas pour rien qu'il y a une urgence quand ça arrive, parce que oui, il y a la menace que ça peut mal se passer, et je trouve que c'est important d'en parler.

En lisant les histoires, on réalise aussi que malgré toute la planification que l'on peut faire en amont, les accouchements se passent rarement, sinon jamais, comme prévu?

On fait toutes un plan de naissance, mais c'est comme une aberration: il n'y a rien de moins planifiable qu'un accouchement! On devient mère en même temps qu'on accouche, on apprend plein de choses, et parfois, ce sont des choses qu'on ne nous a pas dites... Moi, je voulais qu'on montre, aussi, la violence de cet événement-là. On aime bien auréoler l'accouchement comme le plus beau moment, la grâce de la mère... Je suis désolée, mais c'est une charcuterie ! Il y a vraiment un potentiel dramatique à ces histoires-là, chacune est comme une tragédie grecque condensée en 10 pages. Et c'est pour ça aussi que j'ai eu envie d'inviter ces auteures. Je me disais : mon Dieu, ces histoires, je veux les compiler!

Dans le ventre - Histoires d'accouchement. Collectif, sous la direction d'Elsa Pépin. Éditions XYZ, collection Quai n°5. 220 pages. En librairie aujourd'hui.

PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS XYZ

Dans le ventre - Histoires d'accouchement, ouvrage collectif sous la direction d'Elsa Pépin