Ah, l’été ! Enfin ! Deux longs mois de liberté ! Mais à faire quoi, exactement ? Grande et sempiternelle question, disons-le, pour bien des parents de ces jeunes, trop grands pour les camps, qui refusent souvent tous nos plans. Comment diable s’occupent ces ados de 15 ans, pas toujours exactement responsables ? Nous avons osé : on leur a tout simplement demandé.

Jeudi après-midi après les cours, devant une école secondaire du quartier Rosemont. Il fait une chaleur caniculaire. Avec un photographe et un stagiaire, nous faisons le pied de grue, littéralement, pour accrocher quelques jeunes de 3e secondaire.

Nous y croyons moyennement, nous attendant à essuyer plusieurs refus et autres yeux au ciel. Ou pire : des réponses évasives dans un jargon obscur (du genre « Bruh ! », ou pire encore : « Boomer ! ») Et pourtant, tout le contraire nous attend.

À l’aide d’un gentil complice (merci Christophe, le fils d’une tout aussi gentille amie), voilà que plusieurs jeunes viennent spontanément vers nous. Première, d’une série de surprises : non, les adolescents ne fuient pas les adultes (ni les médias, hourra !).

Deuxième surprise : oui, ils en ont long à raconter. Et ils se livrent aussi avec aisance et générosité. Alors on en profite pour les sonder au passage sur leurs relations familiales, leur été idéal et d’autres grandes questions fondamentales.

Ça a l’air d’un sujet tout léger comme ça, mais finalement pas tant : c’est que 15 ans, c’est aussi l’âge des découvertes, on le sait, un sinueux (tortueux ?) passage à l’âge adulte, menant, en fin de compte, vers l’autonomie. Un âge clé, finalement, avec toutes les complexités que cela implique.

« Moi, je vais voyager avec mes parents deux semaines », confie spontanément Hamilton Kalinda.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Hamilton Kalinda

Je vais jouer au basket, sortir avec mes amis, aller à la piscine, des trucs comme ça !

Hamilton Kalinda, 15 ans

S’il a l’intention de travailler ? « Sûrement, mais je ne sais pas encore, répond-il. Mais j’aimerais ça avoir de l’argent de poche pour me payer des trucs tout seul. Mais juste un peu, pour pouvoir profiter de mes amis, vu que c’est l’été ! »

Si c’est la belle vie, l’été, quand on a 15 ans ? « Ouais, j’avoue », répond le jeune homme, tout sourire.

Il fallait s’y attendre, non, les adolescents n’aiment pas forcément être organisés (« mes parents ont abandonné ! »), mais ils ne veulent pas non plus passer leurs vacances inoccupés. À preuve : « Sinon c’est un peu ennuyant, confie à son tour Aiko Kobayakawa, en se réfugiant à l’ombre pour nous parler. Et on s’emmerde dans les parcs. […] Quand on fait des activités, c’est nice. »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

« Quand on fait des activités, c’est nice », indique Aiko Kobayakawa (à droite), ici avec son amie Elizabeth Girard.

Quelles activités, exactement ? Pensez : piscine, plage Jean-Doré, cinéma (Barbie, Indiana Jones et d’autres superproductions attendues) et sports variés.

Nouvelle surprise, tirée de ce vox pop tout sauf scientifique, mais non moins révélateur : ces jeunes ont presque tous des plans avec leurs parents, avec qui, oui, les relations semblent plutôt bonnes, merci. Même « très bonnes ». Pour ce que ça vaut : « ma mère est super gentille ! », dira l’un. « Mon père ? C’est mon meilleur pote ! », dira un autre. Pas si bonnes, dira certes une troisième, « mais j’avoue que c’est aussi moi le problème… »

Si plusieurs travaillent déjà, ce n’est pas le cas de tous. Notamment Hugo-Félix Therrien Landa, qui n’a pas du tout envie de ce genre de responsabilités. « Oh non, je préfère être avec mes amis ! » Ah oui, et ils sont aussi globalement bien conscients de gagner en indépendance, même reconnaissants !

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Crystal Fisher, 15 ans

On n’est plus si jeunes, on a un peu plus de liberté. […] Avant, on ne me laissait pas sortir du tout, mais là je peux !

Crystal Fisher, 15 ans

« Quinze ans, c’est l’âge où l’on se pose beaucoup de questions », analyse l’autrice et scénariste Sarah-Maude Beauchesne (Cœur de slush), à qui l’on doit plusieurs romans pour adolescents. « Quinze ans, c’est angoisser, mais c’est aussi avoir envie de vivre une vie authentique, enfin. C’est l’âge de la liberté, de l’indépendance, de la révolte, aussi ! »

Parlez-en à la comédienne Édith Cochrane, mère de trois enfants, dont un de 15 ans, justement. « Quand ils étaient petits, je me faisais un malin plaisir de planifier les vacances ! J’aimais ça ! Alors que là ? C’est plus ça ! Ils ne veulent plus être organisés ! Et c’est correct ! »

La pandémie y serait pour beaucoup : « Avant, ils allaient dans des camps, poursuit l’actrice et animatrice. La pandémie est arrivée et ils ont arrêté. Et là, ils arrivent à un âge où ils n’ont plus envie d’embarquer. »

Sauf qu’on le sait, ils passent aussi énormément de temps sur leurs fameux écrans. « Alors on veut les occuper ! » Mais comment ? Les laisser s’amuser « tout seuls » ? Elle y croit plus ou moins.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Édith Cochrane

S’amuser comme je l’entends ? […] Ce n’est pas ça qu’ils vont faire. […] Les écrans prennent tellement de place…

Édith Cochrane, actrice, animatrice et mère de trois enfants

Édith Cochrane ne voit pas d’un trop mauvais œil l’idée de les laisser se trouver un petit boulot. Au contraire. « Ça peut être un lieu de sociabilité, espère celle qui a elle-même été monitrice dans des camps au même âge. Un milieu le fun ! »

N’empêche que « c’est une vraie question », confirme-t-elle. Qu’est-ce qu’on fait avec les ados de 15 ans ? « Je me demande si ce n’est pas peut-être dans la tête des parents. On dirait que 16 ans, on voit ça comme l’âge de l’autonomie, et dans nos têtes, 15 ans, on voit ça plus proche de 13 ou 14. Comme si 16 venait avec un sceau de responsabilités, réfléchit-elle. Et puis à 15 ans, on veut encore les garder dans le giron familial… »

L’avis des experts

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue clinicienne et conférencière

C’est un âge « complexe », à mi-chemin entre l’enfance et l’indépendance. Et les deux mois d’été peuvent effectivement représenter un sacré défi pour les parents d’adolescents de 15 ans. D’où l’intérêt d’y réfléchir, d’en discuter, et surtout de les écouter.

C’est ce que l’on retient des conseils promulgués par la psychologue clinicienne et conférencière Geneviève Beaulieu-Pelletier, en entrevue.

Qu’il s’agisse de se trouver un petit boulot, voir ses amis, ou passer du temps en famille, même sur leurs écrans, une règle d’or : l’« équilibre », rappelle la psychologue.

« On est à un âge où on peut effectivement faire un peu de sous, dit-elle, utiliser ses compétences ou ses énergies peut être intéressant, mais est-ce qu’on veut tomber dans beaucoup d’heures ? […] Tout dépend de ce qu’on fait en dehors de ça. »

Justement, parlons-en : que fait-on ? « Il est tout à fait normal que les amis prennent de plus en plus de place, poursuit la psychologue. Cela aide au développement de leur identité. Mais de là à disparaître totalement du décor, il y a une nuance. […] À 15 ans, la famille reste essentielle. »

Le secret ? « L’équilibre », répète Geneviève Beaulieu-Pelletier, suggérant aux parents de chercher ici à cibler des activités qui pourraient les interpeller. Posez la question : « Qu’est-ce qui nous tente ? », impliquez-les dans la décision, soutenant ainsi leur autonomie, sans rien imposer. L’idée étant, on l’aura compris, de nourrir votre connexion, en un mot, votre lien. « Mais il ne faut pas non plus s’attendre à une connexion incroyable, dit-elle en riant, on ne va pas nécessairement jaser, mais au moins passer un bon moment. […] On ne saura pas tout et c’est correct. On est là et on crée des opportunités où ils vont vouloir connecter. » Ou pas !

Quant aux fameux écrans, Geneviève Beaulieu-Pelletier suggère, à nouveau, de discuter avec les jeunes de leur place pendant ces vacances.

À cet âge, on n’est pas dans l’interdiction. Ce qui va fonctionner, c’est la discussion.

Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue clinicienne et conférencière

Pas n’importe laquelle : « Une discussion mature en respectant leurs besoins. »

À noter, finalement, que le parent se doit aussi de faire ici un certain « deuil ». « La relation va évoluer, confirme la psychologue, oui, il se peut que ce soit le dernier été, ou l’avant-dernier. […] Il se peut que l’an prochain il y ait un chum ou une blonde, ce sera différent. […] Il y a un bout à faire pour le parent, un deuil à faire. Et si on ne le fait pas, on prive le jeune de son autonomie. » C’est dit.

Quatre activités à faire avec vos ados

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le Dr Jean-François Chicoine, pédiatre

Les jeunes de 15 ans sont à un stade dans leur développement où ils ont tout particulièrement besoin d’« explorer ». « Mais ils ont tous de la difficulté à explorer ! », se désole le pédiatre Jean-François Chicoine, bien connu pour son franc-parler. Vous voulez les motiver ? Voici comment.

Activez leur corps

« Ils le savent, mais trouvez un exercice auquel ils vont se scotcher, dit-il. Cela fait du bien au corps et aussi à l’esprit. » Vélo, course, marche, n’importe quoi, pourvu qu’ils bougent. Et qu’ils accrochent.

Faites du plein air

« Découvrir la nature, dit-il, cela fait du bien à l’humain. Cela augmente la dopamine et la sérotonine », fait-il valoir. Si on parle beaucoup d’environnement, indique Jean-François Chicoine, « il y a aussi la nature dont on parle trop peu souvent ! »

Plongez-les dans une foule

« Ils doivent aller à la rencontre de l’autre, dit-il, en dehors de leur famille et leurs proches […]. Envoyez-les dans des festivals, une foule, ils ne connaissent pas ça ! […] Mais c’est provocant, une foule bigarrée. » Et cela forge l’identité.

Nourrissez leur « malnutrition culturelle »

« Combien de jeunes ne sont jamais entrés dans une librairie ? Profitez de l’été pour la contrer », cette malnutrition, poursuit le pédiatre, invitant les familles à aller au musée, voir des spectacles, du théâtre, des expos. Objectif ? « Explorer, prendre des risques, au-delà du cocon ! » En un mot : grandir.