Selon l’adage, on ne choisit pas sa famille. Pourtant, Mickaël Albert et Alrick Magnin ont vu certaines personnes de leurs entourages respectifs devenir l’équivalent d’un père, d’un frère, d’une sœur ou d’une mère. Leurs familles « choisies » ont comblé de nombreux besoins créés par l’immigration et leurs réalités LGBTQ+.

Mickaël Albert a choisi sa première famille à Paris, après avoir quitté Toulouse, il y a plus d’une décennie. « Le fait que je sois gai n’a pas du tout été accepté chez moi et je n’ai plus de relations avec mes parents depuis presque 20 ans, explique-t-il. J’ai encore des liens avec mes sœurs, mais comme je me suis éloigné géographiquement d’elles, j’ai ressenti le besoin de retrouver un environnement familial. »

Peu à peu, il a noué des relations avec des personnes de tous les âges qui vont au-delà de l’amitié. « J’ai des relations bienveillantes avec un côté très paternaliste. Des personnes qui me font partager leurs expériences de vie et qui me donnent des conseils. » Lorsqu’il a déménagé à Montréal, il a ressenti le besoin de tisser d’autres liens aussi forts.

Pour Alrick Magnin, le chemin inverse s’est opéré. Sa famille choisie est née il y a sept ans, quand elle a quitté la France pour le Québec. Trois ans plus tard, sa transition de genre l’a poussée à resserrer ses liens avec quelques personnes essentielles à sa vie.

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Alrick Magnin

Ce n’est pas parce que ma famille n’accepte pas ma transition, mais parce que je voulais me rapprocher de gens qui me comprennent. Au moins 99 % de mes proches sont LGBTQ+.

Alrick Magnin

Une réalité queer

La sociologue Francine Descarries affirme que le phénomène est particulièrement présent chez les personnes appartenant à la diversité sexuelle et à la pluralité de genres. « Quand on ne correspond pas au courant hétéronormatif dominant, il est évident qu’il faut créer de nouveaux modèles et se reconstruire de nouveaux liens, souligne-t-elle. On pourrait s’appeler un groupe d’amis, mais la famille nous vient à l’esprit, car c’est un lieu de soutien, d’entraide et d’apprentissage qui nous conforte et nous semble plus permanent. »

Elle précise que les familles choisies ne sont pas nécessairement le résultat de rejets de la famille d’origine.

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Francine Descarries, sociologue et professeure à l’UQAM

C’est tout simplement logique de s’entourer de gens qui nous ressemblent et qui nous rassemblent. On est bien avec des personnes qui ont les mêmes expériences de vie que les nôtres.

Francine Descarries, sociologue

Celle qui est aussi professeure à l’UQAM rappelle que la famille nucléaire traditionnelle n’est plus le seul modèle depuis longtemps. « Depuis le début de ma pratique en sociologie, il y a eu tellement de mutations. La famille choisie est celle dans laquelle on décide de demeurer. Elle peut être choisie par l’adoption. On peut aussi parler d’un groupe d’amis qui décident de vivre ensemble. »

Alrick Magnin ne cohabite pas avec les membres de sa famille choisie, mais elle témoigne d’un grand esprit de communauté. « On peut compter les uns sur les autres, dit-elle. De l’extérieur, ça peut ressembler à une dynamique amicale, mais j’ai des liens avec certains proches qui ressemblent à ceux que j’ai avec ma famille de sang. Puisqu’on part d’une réalité commune, ça permet d’avoir ce que je ne pourrais pas avoir seulement avec de bons amis. »

Même chose pour la famille montréalaise de Michaël Albert. « Ce sont des personnes originaires du Québec ou issues de l’immigration avec qui j’ai un rapport complètement fraternel. On partage tout. On passe énormément de temps ensemble. »

Mickaël et Alrick célèbrent les fêtes de fin d’année et les anniversaires avec leurs frères, sœurs, mères et pères choisis.

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Michaël Albert

Depuis que je suis à Montréal, je ne suis jamais rentré en France durant les Fêtes. J’ai toujours souligné Noël et le Nouvel An au Québec, essentiellement avec des gens expatriés. Le fait qu’on vive toutes ces célébrations ensemble contribue à créer une relation quasi familiale.

Michaël Albert

Francine Descarries rappelle qu’à l’époque où la diversité sexuelle et la pluralité de genres étaient encore passibles de condamnation pénale, plusieurs personnes queers se rassemblaient souvent dans la clandestinité. « Elles avaient besoin d’être ensemble pour échanger et ne pas vivre dans la négation d’elles-mêmes 24 heures sur 24. »

Amis tissés serrés ou famille choisie

La famille choisie n’est pas un concept uniquement associé aux communautés queers. Certains individus considèrent les membres de leur chorale, de leur troupe de danse ou de leur groupe sportif comme une deuxième famille. À ce sujet, la sociologue préfère nuancer. « C’est assurément du lien social et un lieu d’appartenance, mais j’ai tendance à associer le terme “famille” à des structures qui ont une certaine durée dans le temps. »

Alrick Magnin voit les membres de sa famille choisie comme des piliers de son existence. « On a traversé des changements de vie majeurs ensemble, dit-elle. On peut s’héberger quelque temps et s’entraider. Ça fait sept ans que ces personnes sont dans ma vie et j’imaginerais très mal de les perdre du jour au lendemain. »

Mickaël Albert est persuadé que les membres de ses familles choisies sont là pour la vie. « Le fait d’avoir pu les choisir y est pour beaucoup, affirme-t-il. À 40 ans, j’ai une meilleure expérience de la vie, je sais mieux ce que je veux et ce que je ne veux plus dans mon entourage, alors ces gens correspondent à 100 % à mes valeurs actuelles. Je sais que ça va durer. »