Des masques parfois aux couleurs sombres, parfois aux couleurs de l’arc-en-ciel. Des mosaïques représentant une vie volant en éclats. Des messages d’amour écrits sur des bouts de tissu. « Avec nos petites œuvres d’art, qui comptent beaucoup pour nous, on souhaite rendre visible cette peine qui est invisible », confie Marion Fréchette.

La jeune femme fait partie de la quinzaine de parents qui ont participé au Projet (in)attendu, une série de rencontres de création artistique dont le résultat est exposé pendant tout le mois d’octobre à Montréal, à la bibliothèque du CHU Sainte-Justine de même qu’à la bibliothèque Saint-Henri.

Ce qui lie ce groupe de parents ? Ils ont tous vécu un deuil périnatal.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Une œuvre de l’exposition

Il y a un peu plus de trois ans, Marion Fréchette a dit adieu à son fils Éloi, alors qu’il n’avait que 2 mois. « Quand j’étais enceinte, j’ai su qu’il avait une malformation cardiaque », raconte-t-elle, avec émotion. Quelques jours après sa naissance, le nourrisson a été opéré, mais cela n’a pas suffi pour le sauver. « Son petit cœur était juste au bout de la vie. […] Il est décédé dans mes bras. »

Alors qu’elle peinait à traverser son deuil – qu’elle vit toujours, précisera-t-elle au cours de l’entrevue –, certaines réactions de son entourage élargi lui ont fait mal. « Des phrases comme : “Tu en auras un autre” ou “Tu en as déjà une” ou “Il était malade, c’est mieux comme ça”. Quand on aime un enfant, on n’aime pas la maladie de notre enfant. On aime l’enfant qu’il est, la personne qu’on espère qu’il va devenir. L’effet de ces commentaires sur moi, c’était comme si je n’avais pas le droit de vivre ma peine complète. »

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Marion Fréchette

Le chagrin d’un parent endeuillé rend terriblement mal à l’aise les gens, a constaté Marion Fréchette.

La psychothérapeute Rosa Caporicci, qui a piloté le Projet (in)attendu avec l’aide de la Dre Rosemary Reilly de l’Université Concordia, abonde dans le même sens.

« Notre culture est très mal à l’aide avec le deuil. On pense que la chose à faire est de passer directement à des choses plus heureuses et d’oublier. »

Or, selon elle, « la pire chose à faire, c’est de ne pas en parler ». « Il faut briser le silence », lance-t-elle.

À l’écoute

En invitant la population à découvrir les différentes œuvres créées par ces familles au cours des derniers mois, Rosa Caporicci souhaite que le public tende l’oreille aux parents endeuillés.

Au Canada, chaque année, près de 100 000 couples doivent faire face à un deuil périnatal, qu’il soit précoce (lors des 20 premières semaines de grossesse) ou tardif (entre les 21 semaines de grossesse et les 6 premières semaines de vie). Pourtant, les parents qui vivent cette épreuve se sentent terriblement seuls, affirme Marion Fréchette.

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La psychothérapeute Rosa Caporicci

« Les parents endeuillés sont comme les autres parents. On a l’impression qu’ils ne veulent pas en parler, que ça va leur faire plus de peine, que ça va leur faire mal. Mais ce n’est pas le cas. Comme n’importe quel parent, on veut partager nos souvenirs. La difficulté avec la perte périnatale, c’est qu’il y en a très peu, mais ils sont précieux », souligne Rosa Caporicci.

« Le deuil, ça n’engloutit pas les gens qui tendent l’oreille », ajoute Marion Fréchette.

Appel à l’action

Alors que se tient ce dimanche la Journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal, la psychothérapeute aimerait que les législateurs québécois épaulent davantage les parents endeuillés.

À ses yeux, il n’est pas normal qu’un père doive retourner travailler rapidement après la perte de son bébé, car les prestations du Régime québécois d’assurance parentale cessent à la fin de la deuxième semaine suivant la mort du poupon. En mai dernier, le député de Québec solidaire Sol Zanetti avait d’ailleurs parrainé une pétition pour faire reconnaître un congé de deuil au parent n’ayant pas porté l’enfant.

Rosa Caporicci souhaiterait aussi que Québec suive l’exemple de l’Ontario qui, depuis 2015, finance la recherche liée au deuil périnatal.

D’ici là, Marion Fréchette et elle espèrent que des initiatives comme le Projet (in)attendu ou l’illumination ce dimanche du mât du Stade olympique en cette Journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal contribuent à mettre en lumière cet enjeu que la société essaie, selon leur expérience, de garder dans l’ombre.

L’exposition Projet (in)attendu est présentée jusqu’au 31 octobre à la bibliothèque du CHU Sainte-Justine (6étage, bloc 3) et à la bibliothèque Saint-Henri.

Consultez le site du projet