La marche, c’est mettre un pied devant l’autre et recommencer. Mais ça peut être plus que ça. Des chercheurs s’intéressent aux façons de rendre la marche encore plus bénéfique pour la santé mentale. Voici trois façons de faire.

Marcher en admiration

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le parc-nature du Bois-de-Liesse, à Montréal

Voilà deux articles que le New York Times consacre à une façon de marche appelée awe walk.

Il n’existe pas vraiment de traduction du mot awe en français. C’est un mélange de crainte, d’admiration et d’émerveillement qu’on ressent devant quelque chose de plus grand que soi qu’on ne comprend pas immédiatement. On entend un peu l’émotion dans la façon de le prononcer ce mot : « aaaaa ».

Toujours est-il que le awe, qu’on traduira par admiration, est une émotion positive qui aurait, selon une poignée d’études, des bienfaits sur la santé (plus grand bien-être, moins d’anxiété, moins d’inflammation).

Quand on ressent de l’admiration, on se sent plus petit et plus connecté au monde qui nous entoure.

Virginia Sturm, chercheuse et professeure associée en neurologie et en psychiatrie à l’Université de Californie à San Francisco

C’est l’équipe de Virginia Sturm qui a pensé à tester les effets d’une « marche en admiration ». Les chercheurs ont divisé des personnes âgées en deux groupes. Au premier (le groupe de contrôle), on a demandé d’aller faire des marches ordinaires. Au second, les chercheurs ont expliqué ce qu’est le awe et ont donné cette consigne : allez marcher en regardant le monde avec des yeux d’enfant, en appréciant les merveilles et les détails, et en utilisant tous vos sens.

Résultat ? Les participants du second groupe ont rapporté avoir ressenti des niveaux plus élevés d’émotions positives « prosociales », comme la compassion, l’admiration et la gratitude, conclut l’étude, publiée en 2020 par l’American Psychological Association. « Ce sont des effets qui ont été aussi rapportés les jours où les gens ne faisaient pas de marche en admiration », note-t-elle.

Les chercheurs ont aussi demandé aux participants des deux groupes de se photographier pendant leurs promenades. Fait intéressant : sur les photos de ceux qui marchaient « en admiration », les sourires étaient plus larges, et la silhouette des marcheurs prenait de moins en moins de place au profit des paysages autour. Ce qui évoque, selon Virginia Sturm, un sentiment de « petit soi » – le fait d’être connecté aux autres et au vaste monde.

On peut commencer sobrement, en portant son attention sur les nuances de vert ou de bleu, les textures ou les petites créatures qu’on croise, suggère Virginia Strurm. Mieux vaut marcher dans un endroit où on n’est jamais allé, dit-elle. Il est plus facile de ressentir de l’admiration dans la nature, mais l’architecture des villes, les musées, l’art, les performances extraordinaires peuvent aussi en générer, note la professeure. « Il s’agit simplement de repérer des détails inspirants, peu importe où vous êtes », conclut Virginia Sturm.

Marcher pieds nus

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Quand le sol est propre, Gabrielle Proulx aime bien marcher pieds nus.

Gabrielle Proulx est une adepte de la marche, une vraie. Elle marche tous les jours, ou presque. Elle habite près du fleuve, en Montérégie, et ses parents vivent dans les Laurentides. « Je me promène donc un peu partout ! », résume la femme de 30 ans.

Lorsqu’elle fait une randonnée dans la nature et que le sol est propre, il lui arrive d’enlever ses chaussures. Et elle n’est pas la seule à le faire : sur les réseaux sociaux, on trouve plusieurs photos de personnes qui se promènent pieds nus dans la nature.

Est-ce une bonne idée ? Le physiothérapeute Blaise Dubois, qui prône une approche minimaliste, y voit une « excellente idée ». « On a une science émergente qui démontre l’intérêt du pied nu, entre autres sur le fait d’avoir un pied tolérant, plus robuste, plus musclé. Et il y a une corrélation directe entre le fait d’avoir un pied plus musclé et la prévention des blessures », souligne le fondateur de la Clinique du coureur, qui souligne néanmoins qu’il faut y aller graduellement, pour ne pas stresser un pied habitué aux chaussures maximalistes.

PHOTO TIRÉE D’INSTAGRAM (WESLEYYOGA)

Sur les réseaux sociaux, on trouve de nombreuses photos de personnes qui se promènent pieds nus dans la nature.

Marcher pieds nus permet de développer la proprioception, et donc l’équilibre, note Gabriel Beaudoin-Côté, président de l’Association des podiatres du Québec, mais il faut faire attention aux excès (« c’est une question de dosage ») et au risque de blessures, dit-il. Marcher pieds nus dans la nature n’est pas conseillé à tous, estime le podiatre, qui pense par exemple aux gens immunosupprimés (vulnérables aux infections) ou diabétiques (qui peuvent avoir une perte de sensation aux pieds). La chaussure, rappelle-t-il, a un rôle protecteur.

Le contact entre le pied et la terre (herbe, gazon, terre, sable…) peut-il avoir des bienfaits sur la santé globale ? C’est ce que suggère un groupe de chercheurs qui étudie le earthing – ou connexion à la terre, en français.

On sait que le corps est conducteur de courant électrique. Selon leur hypothèse, le corps bénéficierait des ions négatifs à la surface de la Terre, car ceux-ci diminueraient l’inflammation.

Selon les recherches du Québécois Gaétan Chevalier, diplômé en génie physique à l’École polytechnique, le earthing diminuerait l’inflammation, la douleur, améliorerait le sommeil, le niveau d’énergie… « Ce sont des bénéfices peu connus et surprenants », dit Gaétan Chevalier, directeur du Earthing Institute, joint en Californie.

Blaise Dubois trouve le concept du earthing « séduisant », mais les preuves scientifiques, « loin d’être convaincantes ». En 2012, la revue MIT Technology Review avait qualifié le earthing (et les produits dérivés qui sont vendus) de pseudoscience. « C’est une croissance normale d’un nouveau champ de recherche, avec des capacités limitées », répond Gaétan Chevalier aux critiques concernant le manque de données.

Gabrielle Proulx ne saurait expliquer pourquoi, mais elle se sent bien lorsqu’elle marche pieds nus. Et c’est ce qui lui importe. « On le sent à l’intérieur de nous, quelque chose change entre le début et la fin », assure la randonneuse.

Marcher et méditer

Le psychologue Joe Flanders est lui aussi un grand amateur de marche. Et à ses yeux, il s’agit d’une activité idéale pour pratiquer la méditation pleine conscience.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES LA PRESSE

Joe Flanders

« La plupart du temps, quand on essaie de méditer, c’est à l’intérieur, dans une chambre, note-t-il. C’est plate. On est laissé juste avec nos pensées. » Alors qu’en marchant, dit-il, on peut porter son attention sur les sensations dans le corps, le chant des oiseaux, le vent sur sa peau…

Joe Flanders établit d’ailleurs un lien entre la pleine conscience et les deux techniques de marche précédemment abordées. Toutes deux ramènent dans l’instant présent. Dans la sensation sous les pieds, ou encore dans les détails du monde qui nous entoure.

On peut marcher en pleine conscience de façon très informelle, selon Joe Flanders.

On choisit de garder notre attention sur les sens, et on les laisse aller. On observe ce dont on est conscient moment après moment.

Joe Flanders, psychologue

Joe Flanders en convient : il est plus facile de cultiver la pleine conscience dans la nature, parce que les stimulations y sont subtiles, naturelles, douces. « Dans la ville, c’est beaucoup plus fort, plus soudain », dit le psychologue, qui réussit tout de même à méditer lorsqu’il marche en ville. Sa clinique, Mindspace, se trouve près du mont Royal. « Avenue de l’Esplanade, je regarde la montagne. Je perçois ce qui est autour de moi, comment c’est beau et incroyable, et j’en viens à oublier un peu mon identité », dit-il.