La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Louise*, 70 ans.

Louise n’a pas de libido. Zéro. Femme de carrière et féministe avant tout, elle s’est battue toute sa vie pour une certaine égalité, au détriment de son intimité, par ailleurs peu enlevante. Carrément décevante. Récit d’un « désert » assumé.

« J’ai la libido comme un flat-line de mort », confie d’emblée la colorée septuagénaire, jadis productrice en télé, dans un entretien truffé d’humour et de détachement, malgré la teneur du propos. Disons qu’on ne s’attendait pas à tant de légèreté. C’est que derrière cette « carapace » de femme forte se cache aussi quelqu’un qui en a arraché, finira-t-on par comprendre.

D’ailleurs, à quelques jours du rendez-vous, Louise a voulu annuler notre rencontre. « Désolée de vous avoir fait perdre votre temps, mais je n’ai vraiment rien à dire, ma vie amoureuse et sexuelle se résume à un grand désert, nous a-t-elle écrit. Une page blanche dans un journal comme La Presse, ça fait pas très sérieux. » On a insisté, et on a drôlement bien fait.

D’abord, parce que Louise, une sorte de dynamo de 70 ans, n’a pas la langue dans sa poche et nous livre un récit haut en couleur. Il faut dire qu’elle a été élevée (sévèrement) « chez les bonnes sœurs » dans les années 1950 (« c’était encore l’ère Duplessis ») et a très tôt perçu la sexualité comme quelque chose de « pas beau ». « J’ai commencé à me masturber très tôt, mais c’était péché ! Il fallait que tu te confesses ! [...] Mais conter ça au curé le dimanche ? » Imaginez la honte. Alors entre mentir (« et aller en enfer ! ») ou arrêter ses pratiques solitaires, disons que le choix n’a pas été très compliqué à faire. « Ce n’était pas drôle ! Mais j’ai arrêté ! » Et elle n’a pour ainsi dire plus jamais recommencé.

À l’adolescence, enchaîne-t-elle entre deux gorgées de café, « [sa] mère était pin-up, [elle] boulotte ». Alors Louise ne « pognait » pas, comme elle dit. « Et j’ai décidé que je n’étais pas désirable. Et comme j’ai un maudit caractère, ça n’aidait pas ! [...] J’ai évacué l’amour et la sexualité. Ça n’était pas pour moi. »

Au début de la vingtaine, « plus par curiosité qu’autre chose », Louise a tout de même une première relation sexuelle. Résultat ? « J’ai trouvé le gars plate. Et je devais l’être aussi », ajoute-t-elle, aussi laconique que lucide.

Autant je suis exubérante habillée, autant au lit, je me referme.

Louise

L’histoire ne dure pas, et mi-vingtaine, Louise rencontre un deuxième homme, avec qui elle passe cette fois cinq ans, et fait même un enfant. Et puis ? « Même affaire, toujours plate. Quand je te dis que c’est un désastre, ce n’est pas une blague ! C’est plate pour mourir ! » Pensez : « zéro imagination », « position du missionnaire », « très peu de préliminaires ». « J’ai toujours eu des hommes qui ne faisaient pas l’amour, mais qui baisaient. »

Vraiment aucun plaisir ? ose-t-on. Rien de rien. À preuve : « j’étais toujours contente si je tombais sur un éjaculateur précoce, comme ça, je n’avais pas besoin de faire semblant trop longtemps », ajoute-t-elle, en se remémorant la poignée d’hommes qu’elle a connus. Or, « malheureusement », le type en question ne l’était pas. Ni éjaculateur précoce ni généreux au lit. « Je ne me souviens pas d’avoir eu un amant avec qui ça a été plus agréable. Plus jouissif. Vraiment pas, non. »

Parenthèse : « Aujourd’hui je m’en rends compte », analyse Louise avec le recul, mettant tous les hommes de sa vie dans le même panier. « Je choisissais des gars qui se laissaient traîner. Des gars qui s’attendaient à ce que je sois leur mère. » Or, Louise, de son côté, féministe de la première heure, a toujours refusé de materner, ou de se laisser entretenir, ou encore de jouer à la « bobonne », comme elle dit. « J’ai toujours payé 50/50 [...]. Alors quand j’entrais en relation, j’entrais en guerre, ce n’est pas compliqué ! »

Toujours est-il qu’au tournant de la trentaine, Louise se sépare, et passe quelques années à enchaîner les relations à coup de « trois jours, trois semaines, trois mois ». Elle est désormais mère de famille monoparentale : « Rien ne marche, dit-elle, et ma carrière me prend beaucoup de mon temps. »

Mais j’étais très satisfaite ! J’avais tellement de fun avec mon enfant, tellement de fun avec ma job, qu’avoir un partenaire, c’est devenu secondaire.

Louise

N’empêche. « Souvent, j’ai eu des creux... » Après un énième type « aussi plate que les autres » (et elle aussi « muette », « j’attends que ça finisse... »), elle passe près de 20 ans de « désert ». Oui, 20 ans. Si ça lui a manqué ? Pas vraiment. « Le sexe ? Non », répond-elle. Mais une « espèce de complicité et de tendresse », si, par contre. « J’ai toujours tout décidé toute seule. J’ai élevé un enfant, acheté un duplex, j’ai roulé. Mais je n’ai jamais eu personne pour déposer ma tête. C’est ça qui m’a manqué. »

D’ailleurs, elle a « roulé » ainsi sa carrière à fond jusqu’à ses 50 ans, avant de frapper un mur : dépression grave. Un congé de maladie et une démission plus tard, Louise a tout plaqué pour partir vivre à la campagne, se refaire une santé. « Je ne veux plus de cette vie-là », se dit-elle. Mais que veut-elle ?

Dix ans plus tard, elle pense avoir trouvé. Un homme qui rassemble finalement à lui seul tous les défauts de tous les hommes que Louise a connus. « Il fallait que je veuille être en couple pour me retrouver avec ce gars-là... » Un type avec qui l’intimité a duré une petite semaine chrono (toujours « sans préliminaires, sans douceur, sans affection »), mais avec qui elle est tout de même restée trois ans.

« Mais j’ai compris mon pattern ! Ce sont des hommes dépendants qui se cherchent une femme forte ! [...] Je viens de comprendre : je ne m’aimais pas, c’est pour ça que je me choisissais des hommes qui ne convenaient pas ! »

C’est aussi ce qu’elle travaille depuis les dernières années, à la suite d’une démarche « complètement différente », où Louise prend désormais soin d’elle (et de ses petits-enfants, mais c’est une tout autre histoire). « Le bonheur, si tu en veux, tu t’en fais », décrète-t-elle. Et non, vous l’aurez deviné, le sexe ne lui manque résolument pas. « Plutôt la tendresse, répète-t-elle. Vous savez, les femmes, on donne du sexe pour avoir de l’affection, les gars de l’affection pour avoir du sexe. On n’est pas sur la même planète ! Enfin, ma génération ! » Et puis, en toute franchise, conclut-elle, fidèle à elle-même : « Ma libido est tellement basse, voir un vieil homme tout nu, ça va l’achever ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

Écrivez-nous pour nous raconter votre histoire