La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Joseph*, début vingtaine.

Joseph est différent. Il n’est pas « complètement » hétéro, encore moins gai, ni vraiment bi. Il a plutôt une attirance pour le gris. Récit.

Le jeune homme, début vingtaine, nous a donné rendez-vous dans un café du nord de la ville pour se raconter, sortir de sa « zone », comme il dit, même si ça le stresse. Et ça paraît.

C’est qu’il n’a pas eu la vie facile, disons, et ça aussi, ça paraît. « Vers 11 ou 12 ans, mon estime de moi était au plus bas, commence-t-il. J’ai été beaucoup rejeté au primaire et j’avais des difficultés sur le plan social, plus jeune. »

On devine qu’il en a bavé. Pour vous donner une idée du portrait : « J’étais plus gros qu’aujourd’hui et j’avais des broches », illustre-t-il. Toutes ses tentatives pour se faire une copine s’avèrent vaines. « J’ai été rejeté quelques fois et ça m’a convaincu que je n’aurais jamais de chance avec les filles de ma vie. […] Donc, il fallait que je sois gai. » Il fallait ? « Dans ma tête, ça ne marche juste jamais. Si ça continue, je vais être célibataire sans enfant à 80 ans, raisonne-t-il. Dans ma tête de jeune en développement… »

Il s’essaye, assez maladroitement, comprend-on (lire : sans consentement), sur deux amis garçons. Toujours vers 10-11 ans. Et comme de raison, ça se passe plutôt mal. L’un d’eux lui crache carrément au visage après sa tentative de rapprochement. « Je ne le referai pas, précise-t-il, j’ai appris, je sais que ça n’a pas de sens. […] Mais je veux être heureux. Et je suis prêt à n’importe quoi ! »

Au secondaire, Joseph cache ces « évènements » passés comme il peut.

Mais d’un coup que je me fais intimider parce que je ne suis pas complètement hétéro ?

Joseph

Heureusement, il a tout faux. Il faut dire que ses habiletés sociales se raffinent. Il finit par se faire une première copine (en cinquième secondaire, sa « première relation sérieuse », avec qui il vit ses premières « expériences »), à qui il se confie. « Elle-même était bisexuelle et elle avait eu des rapports lesbiens avec sa meilleure amie… » Bref, son (ses ? ) orientation ne lui fait pas un pli.

Joseph enchaîne avec une deuxième jeune fille, une histoire qui s’étire cette fois sur neuf mois. C’est avec elle qu’il a un premier rapport sexuel. « Ça s’est bien passé, confie-t-il, on s’assurait que l’autre aime ce qu’on faisait. Aimes-tu ça, veux-tu que l’on continue, etc. » On voit qu’il a fait du chemin, question consentement également.

Avec elle aussi, Joseph se confie : « Ça se peut que je ne sois pas complètement hétéro », lui dit-il. Et encore une fois, la confidence est sans conséquence.

Vers 18 ans, troisième copine. Cette fois, ça ne dure qu’un mois. Joseph souffre de nouveau d’un manque d’estime de soi. « Elle est trop bonne pour moi, trop pure, je fais de l’autosabotage. »

On vous épargne les détails, mais le jeune homme vit ici une période « sombre ». Il broie du noir, se met à fumer et tombe encore plus creux. Il finit par consulter et va depuis plutôt mieux, médicaments et thérapie inclus. Sauf qu’il réalise aussi qu’il n’est pas exactement prêt à entrer en relation. « J’ai besoin de travailler ma personne, résume-t-il. J’ai peur de retomber dans cette phase négative et d’être un partenaire toxique. Et je ne veux pas ça. » Alors il s’inscrit sur différentes applis, en quête de quelque chose de « casual », dans la légèreté, parce qu’il n’est pas prêt à s’engager.

Il est plutôt en mode exploration.

À la même époque, et pendant sa thérapie, Joseph poursuit d’ailleurs son questionnement entourant son orientation. Il s’ouvre même à ses parents en annonçant qu’il est bi. « Peut-être bi », précise-t-il.

Mais je ne suis pas attiré par la porno gaie. […] Je suis attiré par les personnes féminines en général. En anglais, il y a un terme : finsexual.

Joseph

Finsexual « pour feminine in nature. Sans que ce soit nécessairement une femme », nous explique-t-il.

Vous avez du mal à suivre ? Normal. Imaginez Joseph.

C’est que oui, confie-t-il ici, il consomme à l’époque de la porno non pas gaie, mais trans. « Il y a une partie de toi qui dit : c’est impossible, analyse-t-il, en toute transparence. Comment ce peut être une femme ? En même temps, elle a une façon de gémir qui fait que fondamentalement, c’est une femme. Même si elle a un pénis… » Et oui, ça l’allume. On le laisse poursuivre. Les explications (rationalisations) suivront.

Joseph en est là dans sa réflexion quand arrive la pandémie. « Au début, ça allait bien, se souvient-il. C’était une période plus calme. J’avais plus de temps à la maison. J’y ai trouvé une source de réconfort. Et puis, ça a commencé à être long… »

Vous devinez la suite ? C’est aussi à cette époque qu’il finit par rencontrer, par l’entremise d’une appli, donc, une première femme trans. Et puis ? Il hoche la tête. « Ouais », dit-il en souriant, il a aimé. « Je suis conscient que je suis différent des autres hommes, précise-t-il. J’aime ça. Un homme avec une barbe, je ne suis pas intéressé. Mais une femme trans ? Oui. »

Il a d’ailleurs remis ça avec une deuxième. « Il y a quelque chose qui m’attire, I guess. En théorie, il y a un organe pour pénétrer, sauf que c’est moi qui pénètre, réfléchit-il. Ça m’aide à me sentir plus fort, plus beau, masculin, dominant. » Bref, ça ne nuit pas à son estime de soi, comprend-on.

Toujours est-il qu’il a essayé d’en parler, notamment à ses parents, mais ceux-ci semblent avoir du mal à saisir. « Les jeunes boomers ne comprennent pas ces termes-là. Ils voient noir ou blanc, rien de gris. Les jeunes de mon âge sont plus compréhensifs. »

Depuis ces deux aventures, et quelques heureux et autres moins heureux échanges virtuels, Joseph a pris une petite « pause » des applis. Il a une psychologie fragile et veut travailler sur sa personne, on l’a dit. N’empêche qu’il a tenu à témoigner : « Il faut être ouvert à ce que notre vie et notre identité évoluent avec le temps, avance-t-il. Je pense que la sexualité est plus fluide qu’on l’entend en général. Et c’est plus commun de ne pas être hétéro chez les 35 ans et moins. Peut-être que c’est plus complexe que bi ou hétéro… » Quoi qu’il en soit, ajoute-t-il pour conclure, « ce qui compte, ce n’est pas ton orientation. Mais que ce soit consentant et le plus sain possible… »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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