La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.
Aujourd’hui : Francis*, la cinquantaine.

Francis est « tanné », carrément « écœuré » d’être « incompris » et victime selon lui de « biphobie ».

« Je veux vous écrire depuis longtemps, mais je n’ai jamais eu le guts », confie le quinquagénaire aux doux yeux bleus, à peine arrivé dans le café de la couronne nord où il nous a donné rendez-vous, à la fin de l’année dernière. « Je ne parle pas de mes affaires à grand monde, c’est un de mes problèmes d’homme », dit-il, visiblement stressé.

Il répond toutefois à nos questions dans la plus grande transparence. Sa première expérience sexuelle ? À 16 ans. « Avec un gars de mon âge. » Mais non, cela n’a rien de prémédité. Ça a juste « adonné ». « Deux gars sous une tente. On s’est juste joués l’un après l’autre. »

C’est après qu’il s’est « inquiété » : « Est-ce que je suis gai » ? « Gai refoulé ? » Une question à laquelle il répond d’instinct par la négative : « Dans mes rêves, ça a toujours été des femmes... »

Parenthèse : « La bisexualité, je ne savais même pas que ça existait ! [...] Quand tu n’as aucune éducation sexuelle comme moi [et contrairement à aujourd’hui], tu as zéro idée ! »

Toujours est-il qu’un an ou deux après, Francis se promène au centre-ville et un type l’« accoste ». « J’étais très solitaire. J’allais souvent au centre-ville vers 17-18 ans, je buvais quelques bières et je déambulais sur Sainte-Catherine, cocktail, de bonne humeur. » Et puis ? « J’ai embarqué, ça m’intéressait, et je l’ai masturbé dans son auto, puis on a continué chez lui. » Fait à noter : « Je n’ai rien pensé de mal de ça. »

D’ailleurs, c’est arrivé à une ou deux autres reprises, dans les années qui ont suivi. « Je n’en pensais ni mal ni bien. Ça faisait juste partie d’un besoin que j’avais. » Point.

Après une première expérience avec une danseuse (dans une voiture !), Francis se fait finalement une première blonde, avec qui il reste plusieurs années. Et puis ? « C’étaient les débuts. Tu apprends... »

Toute sa vingtaine, il enchaîne ainsi les copines, mais chaque fois, ce sont elles qui font les premiers pas. « Je suis une personne extrêmement gênée... » Et au lit ? « J’ai une vie sexuelle totalement normale, sans hauts ni bas, pas mal neutre. » Il se marie à travers tout cela et a même un enfant.

Rien à signaler ? Si, quand même. « J’aime les femmes, ça me plaît, mais quand je suis seul... » Quand il est seul ?

C’est quand je suis seul que mon énergie sexuelle sort. Quelque chose manque. Quoi ? Je ne sais pas. Le contact homme-homme…

Francis

Quelque chose manque, mais il n’en parle pas, « pantoute », à personne. Jusqu’à ce que, et pour toutes sortes de raisons, Francis finisse par se séparer d’une énième relation, à la mi-trentaine. Et c’est là, pour la première fois de sa vie, donc, qu’il ose. « Je fais mes premiers moves pour trouver un homme », déclare-t-il solennellement.

Il finit par rencontrer quelqu’un, un gai, précise-t-il, « intéressé ». « On couche ensemble plusieurs fois, sexuellement, ça fait mon affaire [...], mais comme la plupart des gais, il est biphobe. » Biphobe ? Il ne croit pas à la bisexualité, et est convaincu que Francis est plutôt gai. « Mais moi, ça vient me chercher, parce que je crois sincèrement que je suis bi. » Il faut dire qu’entre-temps, il a fait ses recherches, lu « beaucoup » sur le sujet, et se reconnaît tout à fait dans cette orientation sexuelle à deux directions.

C’est sur ces entrefaites que Francis fait une rencontre significative, quoique de courte durée. Une sexologue de formation – « la première femme à qui j’ai dit que j’étais bi » – qui l’accueille sans sourciller. Pour cause : « elle aussi était bi ! » L’histoire ne dure que quelques mois, mais Francis y gagne une confiance inédite.

D’ailleurs, avec sa copine suivante (une histoire qui dure cette fois quelques années), il s’affirme d’emblée. « C’est la première fois que j’étale ma vision de la vie de couple, dit-il. Pour moi, l’amour et la sexualité sont deux choses complètement différentes. » Il va encore plus loin et affirme ne pas croire en la monogamie. « Je sais que je suis bi [...] Et bisexualité et monogamie, ça va mal ensemble ! »

Coup de théâtre : madame voit la vie comme lui. « Et là, ça commence... », dit-il en souriant. Au lit ? « Extraordinaire, tout ce que je fais la fait capoter. Je me sens comme un homme pour la première fois de ma vie. » Mieux : elle lui fait découvrir l’univers des clubs échangistes, et est ouverte à beaucoup d’ouverture, justement, mais à une condition : « On ne fait rien sans l’autre. » Avec des hommes, des femmes, ou les deux en même temps.

Francis est-il enfin heureux ? Oui, mais non. C’est qu’avec les aventures, madame finit par faire des « attaques de panique ». « Elle devenait jalouse. » Sauf qu’ils n’en parlent pas, « jamais », car on l’a dit, Francis n’est pas un « gros parleux », et ils finissent aussi par se quitter.

L’histoire se poursuit. Francis (en mal de relation) se retrouve une fois de plus en couple, et quand il confie qu’il est bi, il voit cette fois « l’effroi » et « la peur dans les yeux » (de madame). Et puis ? « Inquiète-toi pas, ça se contrôle, qu’il dit. Un gros mensonge... »

Mi-quarantaine, Francis se retrouve une énième fois célibataire. « Mais je crois toujours à l’amour, j’y crois, mais je ne sais pas comment ça peut arriver. Avec l’insécurité que j’ai, je commence à en pleurer... »

Il rencontre une nouvelle femme (« je ne chercherai jamais un homme, sérieusement, non »), avec qui, et pour une nouvelle fois, il ose la transparence. « Je ne crois pas que comme espèce, on est monogame, etc. »

C’est l’« extase » au début (« on se réveillait l’un l’autre la nuit ! »), puis quand madame réalise que Francis voit des hommes à côté, c’est de nouveau l’« effroi ». Et de nouveau, « on continue, et on n’en parle pas... »

On vous épargne la chute libre, parce que rien n’y fait. « Elle n’aime pas mon côté bi, mais c’est moi, alors je me sens pogné encore une fois... »

Une nouvelle séparation plus tard, Francis est détruit. « Je me sens tellement seul sur terre. [...] Câline [...]. Je vais être incompris toute ma vie », laisse-t-il ici tomber. C’est d’ailleurs pourquoi il nous a écrit. « Pour exorciser [...]. C’est plate en tabarnouche : la bisexualité, c’est beau pour les femmes, mais laid pour les hommes. [...] Moi, j’appelle ça un calvaire. »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

Écrivez-nous pour nous raconter votre histoire