La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Jean-François*, 59 ans.

Jean-François est un homme gai, affirmé, depuis près de 40 ans maintenant. Or, voilà qu’il vient de retourner vivre dans sa région natale. Là, la quasi-totalité des hommes rencontrés sont en couple, souvent mariés, avec une femme par-dessus le marché.

« Ça me dépasse ! », confie-t-il à la caméra, distance oblige. Fin cinquantaine, souriant malgré tout, il n’en est pas moins « choqué », voire « troublé » par ce qu’il vit ces jours-ci, à répétition de surcroît.

« En 2023, ça me trouble que tous ces gens vivent des doubles vies. La plupart ont des blondes ! Pas depuis un ou deux ans, là, mais dix, vingt ans ! »

De son côté, notre interlocuteur est « sorti du garde-robe » à 21 ans. En arrivant à Montréal pour étudier, faut-il le préciser. Avant, il s’est « amusé » avec un cousin ici, un ami là. Oui, dans sa fameuse région natale, faut-il le préciser à nouveau. « Est-ce que ça m’a influencé ? Peut-être... »

Il a même déjà eu une « blonde » pendant près d’un an de temps, vers 17 ans, avec qui il a eu plusieurs rapprochements. « Si c’était le fun ? À cet âge, tout est le fun ! », dit-il en riant franchement. N’empêche qu’il l’a quittée pour « ça », comme il dit. Quoi ? Son « attirance pour les gars ».

Ce n’est que quelques années plus tard, une fois atterri dans la métropole, donc, qu’il s’affiche. Pourquoi là ? « Parce que j’étais rendu là », répond-il tout naturellement. Ses amis proches le prennent plutôt bien, sa sœur également. Sa mère ? Moins. « Elle ne m’a pas accueilli à bras ouverts. Ça a pris quelques années avant qu’elle ne connaisse mon premier chum... »

Sa toute première expérience, il la vit avec un type trouvé dans les « petites annonces », comme c’est l’usage à l’époque. Il a 22 ans. « Ça s’est très bien passé. Ç’a été le fun », résume-t-il. Quelques années plus tard, il rencontre son premier (et seul et unique chum), une histoire qui dure 10 ans.

Au lit ? « Très bien. »

Comme tous les couples : trois ans de passion folle, puis, c’est autre chose.

Jean-François

On devine dans son ton que cette « autre chose » n’a pas été « folle », justement. Et on devine juste. « Je l’ai laissé parce que ça se passait mal au niveau sexuel, confirme Jean-François. Ça m’énervait. C’est toujours moi qui initiais. Et quand j’ai arrêté, notre sexualité s’est arrêtée. »

N’empêche qu’avec le temps, et les années, il regrette. « C’était une erreur, laisse-t-il tomber. Il n’y a pas que ça [la sexualité]. [...] Peut-être que c’était un coup de tête. J’avais juste 36 ans... »

Il ne s’épanche pas trop sur le sujet. Tout au plus saura-t-on qu’à travers ces années, monsieur l’a trompé. Et lui aussi. « Je me suis vengé. » Rien de sérieux, cela dit. « Des histoires sans lendemain. »

Une fois célibataire, Jean-François s’amuse. Il fait rencontre sur rencontre, avec des dizaines d’hommes. Sans doute plus d’une centaine de différents. Notez que jusqu’ici, les hommes qu’il croise sont tous gais, et fiers de l’être.

Il ne va que rarement dans des saunas, poursuit-il. « Je n’aimais pas le concept. » Il priorise surtout les applis. « Je partais chez un gars comme ça, que je n’avais jamais vu avant. C’est un thrill. » Mais tout ça fait son temps. « À un moment donné, c’est lassant... »

Vers 50 ans, Jean-François s’inscrit donc dans une agence de rencontres haut de gamme, quelque part dans Outremont. « J’avais envie d’un chum. » Malheureusement, une quarantaine de rendez-vous plus tard, ça ne clique toujours avec personne.

Alors, il s’offre quelques escortes. Pourquoi choisir de payer ? « J’étais tanné. On dirait que je n’étais jamais satisfait », explique-t-il.

Et puis voilà que depuis trois ans, le revoici dans sa région natale, donc, pour des raisons professionnelles. « Et là, sur 40 gars rencontrés, 35 sont straight ou bi-curieux ! », réalise-t-il, stupéfait. Nous y voilà. « Et ce sont des gars en couple depuis longtemps ! Avec des enfants ! »

Il n’en revient pas : des hommes de 35 à 45 ans, certains avec une vie sexuelle active avec leur femme, carrément, d’autres moins, certainement. Tous vivent une double vie.

Et puis pour certains, je ne suis pas le premier !

Jean-François

Ce n’est pas tout. Depuis l’automne dernier, Jean-François en fréquente un en particulier, plus assidûment. « On se voit aux deux semaines. Des fois, deux fois par semaine. Il a une famille. Alors on a discuté beaucoup. »

Pour cause : avec lui, ça clique tout particulièrement. « Il aime ça ! On a du fun ensemble, dit-il. Une chimie : je n’ai pas vu ça souvent ! C’est rare, rencontrer quelqu’un avec qui ça clique autant. Ça coule de source. Même si c’est sûr, on ne vit pas ensemble au quotidien... »

Monsieur devait quitter sa femme. Mais il ne l’a pas fait. Et Jean-François ne s’attendait à rien. Ou juste un peu. « On a toujours une petite attente », dit-il en souriant.

D’où sa surprise. Ce constat. Doublement difficile à digérer. « Des fois, je me dis que ces hommes vivent dans un autre monde. Je ne serais pas capable de tromper comme ça, c’est contre mes principes. Comment ils font le soir pour dire bonjour à leur femme ? [...] Ça me déprime un peu. Je ne comprends pas qu’en 2023, même en région – les gens ne sont pas non plus des innocents, ici ! –, il y ait des personnes qui ne vivent pas leur vie. C’est triste. Je les trouve pathétiques... »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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