Denis* a eu une vie sexuelle en dents de scie. De son passage chez les Témoins de Jéhovah à sa fréquentation de masseuses à répétition, sans oublier ses aventures avec des hommes, disons qu’il en a long à raconter. Récit compliqué d’un gars « mêlé ».

« Le gars, il est mêlé », confirme le sexagénaire en éternelle quête d’une « blonde », rencontré dernièrement devant un café filtre, dans une épicerie de Sainte-Agathe. « Il en a scrappé, des relations, à cause de ça », dit-il, « ça » étant ce qu’il appelle ses « compulsions ».

La tête rasée, le visage tout autant, Denis arrive à notre entretien avec plusieurs pages de notes imprimées. Il est aussi préparé que stressé. Et ça paraît.

Sa découverte de la sexualité ? Tardive, répond l’homme, élevé dans une famille catholique et plutôt pratiquante. « Je voulais une blonde, se souvient-il. Mais je ne pognais pas. Ce n’était pas évident. » Et c’est un peu l’histoire de sa vie.

Parenthèse : vers 12 ans, il s’est passé « quelque chose » entre lui et un autre garçon. C’était un « jeu ». Et non, l’aventure ne l’interpelle pas, en matière d’orientation. Il n’en démord pas : « J’essaye d’avoir des blondes, mais ça ne marche pas. »

Il faut dire que même arrivé au cégep, c’est toujours le calme plat. Or voilà qu’un soir de cuite, après un party, son beau-frère, témoin de Jéhovah, lui lance une invitation pour le moins inusitée : « Pourquoi tu n’étudies pas la Bible avec moi ? »

Denis accepte, dans l’optique, toujours, de s’y trouver « une bonne fille », justifie-t-il. Il a 17 ou 18 ans. « T’es fragile, à cet âge-là… »

Dans les « Témoins », comme il dit, il se fait un beau cercle d’amis, mais surtout et enfin une copine. « On faisait du porte-à-porte ensemble. » Ils se tiennent par la main, mais là s’arrêtent leurs rapprochements. « Pas le droit de le faire avant le mariage », rappelle-t-il. Oui, c’est « souffrant » : « Je me masturbais, on n’était pas vraiment supposé […], mais à un moment donné… »

Toujours est-il que le jeune homme n’est pas au bout de ses peines : sa copine, à quelques jours de leurs fiançailles, le quitte. Elle n’est pas prête à avoir de « relations ». « J’ai pensé au suicide, confie Denis. C’était l’amour de ma vie… »

Dans les mois qui suivent, « frustré », il se rend dans un premier bar de danseuses. Il a 20 ans.

C’est la première fois de ma vie que je vois une fille nue devant moi. Wow ! C’est merveilleux ! Ça a déclenché de quoi…

Denis, début soixantaine

Et puis voilà qu’il rencontre une deuxième fille, chez les « Témoins » toujours, avec qui il finit par se marier, mi-vingtaine. Et puis ? Disons que la nuit de noces n’est pas exactement telle qu’espéré. « Ça n’a pas bien été. Elle a dit que je lui faisais mal… »

Leur sexualité commence donc dans la douleur, et la quasi-abstinence. « On faisait l’amour tous les 3-4 mois… »

C’est à cette époque que Denis se tourne vers les salons de massage. « Ma seule manière d’avoir de quoi, c’était celle-là… » Il a les « hormones dans le tapis » et il le sait : « il faut que ça se passe ». C’est aussi là qu’il reçoit sa toute première fellation. « Ça y est, tu as connu le paradis », dit même la masseuse.

On vous épargne les détails, mais malgré les remords, les confidences à sa femme, il y retourne à répétition, multiplie les expériences (« j’ai même pogné une chlamydia ») et finit éventuellement par se faire exclure de sa congrégation.

Il a 30 ans, et soudainement, Denis perd tout son cercle social. On perd un peu le fil (« on pourrait écrire un livre, c’est pas une joke ! »), mais pour faire court, disons qu’après une nouvelle aventure avec un « ami » avec qui « il se passe des choses », Denis rencontre une femme avec qui il vit enfin quelques nuits mémorables. C’est une première. « Elle m’a donné plus de sexualité que ma femme en cinq ans. […] Je me suis senti apprécié, et ça m’a redonné confiance en moi. »

À preuve, Denis se fait par après une blonde (quelques mois), puis une autre (trois ans). Mais malgré son bonheur conjugal et sa sexualité « à la maison », il ne peut pas s’en empêcher : il retourne se faire « masser ». Et il ne se comprend pas. « J’ai toujours cru que ma compulsion, c’était parce que je n’avais pas de sexe à la maison. Or là, ça allait bien, mais je suis quand même allé au salon de massage ! » Pourquoi ce « sabotage » ?, s’interroge-t-il.

Il finit par consulter et c’est là qu’un sexologue met le doigt sur sa « dépendance » et ses « compulsions ». Le verdict fait peur à sa conjointe du moment, qui le quitte aussi sec. « Je viens de scrapper ma relation… », se désole Denis.

Ce n’est pas tout. À la même époque, il fait en prime faillite. Bref, « ça va pas bien ». Que fait Denis ? Il retourne se faire masser, mais par un homme, cette fois.

J’ai souvent remarqué que quand j’étais déçu des femmes, je me tournais vers les hommes.

Denis, début soixantaine

« Mais jamais je ne tomberais en amour avec un homme, précise ici notre interlocuteur. Dans ma tête, c’est très clair. C’est une compulsion. Comme un alcoolique. Ça m’amène un high, puis je regrette. »

Denis a 40 ans et il multiplie les rencontres avec des hommes. « Je ne suis pas gai, c’est sûr, j’aime trop les femmes », précise-t-il de nouveau. N’empêche que les hommes l’excitent. Bisexuel, peut-être ? « Il est hors de question dans ma tête d’y penser, répond-il. Et puis, on n’en parlait pas trop, de ça, à l’époque. » C’était il y a 20 ans.

Il a surtout toujours ce même objectif : « être avec une femme ».

Il y a dix ans, Denis tombe amoureux d’une escorte. Il lui paye son épicerie, amène ses enfants aux glissades d’eau. « Moi, je ne voyais pas ça comme de la prostitution », dit-il. Sauf qu’avec le temps et la pandémie, madame a fini par couper les ponts. Depuis ? « J’ai la chienne de rencontrer. Je ne sais plus où aller, laisse-t-il tomber. Je ne me fais plus confiance… »

Il en oublie des bouts, puis se ravise. « Ah ! oui, en mars, j’ai vu un gars. » Mais c’est juste « bestial », précise-t-il. « Il y a un manque à combler qui est là… »

Et il continue toujours d’espérer : « À un moment donné, il y en a une avec qui ça va cliquer, et peut-être que si je suis heureux et que ça va bien avec elle, ça va me couper l’envie d’un homme ? Ça, ce serait mon idéal. Mais est-ce que l’idéal existe ? » Denis lance la question, puis disparaît en coup de vent dans le stationnement.

*Nom fictif, pour protéger son anonymat