La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Gilles*, 84 ans.

Du haut de ses « 84 piges », comme il dit, Gilles a eu une vie sexuelle bien active. Récit d’une vie remplie, mais aujourd’hui au ralenti, à sa grande tristesse.

« J’ai eu une vie hétérosexuelle active durant au moins 42 ans, nous a-t-il écrit au printemps. Je vis avec la femme de mes rêves depuis 20 ans, sans aucune sexualité, et j’en souffre. »

Bien évidemment, on a voulu comprendre pourquoi, et comment il a pu en arriver là. Pourquoi, surtout, il reste malgré sa souffrance manifeste.

Quand on le voit arriver au petit café où il nous a donné rendez-vous, tout sourire, ses cheveux blancs en bataille et son magazine sous le bras, on devine que le galant homme – il insiste pour nous payer notre allongé ! – a dû briser bien des cœurs dans ses plus belles années. Et on devine juste, à l’entendre se raconter, avec une mémoire et un souci du détail qui en disent long. « J’aime la compagnie des femmes », dit en souriant Gilles, et ça paraît.

Sa première relation ? Tout jeune, avec sa toute première femme. « On n’avait peut-être même pas 18 ans. » Ils étaient sans expérience, mais pendant les 20 années du mariage, la sexualité s’est tout de même « relativement bien » passée.

Elle faisait son devoir matrimonial et sexuellement, j’étais satisfait.

Gilles

Il ne s’épanche pas sur le sujet parce qu’il en a long à raconter. À preuve : vers la fin de leur mariage, tenez-vous bien, le couple fait une « thérapie » pour sauver la relation, et notre Gilles développe des « liens » avec la thérapeute. Oui, ils couchent ensemble, confirme-t-il en riant. « C’était bien ! Et pour moi, c’était quelque chose de nouveau, elle était plus âgée ! »

Il ne semble pas y voir le moindre souci et poursuit son récit avec une légèreté contagieuse. Son mariage finit donc par mourir, et Gilles, fin trentaine, vit alors une aventure ou deux (« sexuellement très acceptable, je parle toujours pour moi, mais on ne s’en plaint pas ! »), puis fait la connaissance au boulot d’une première secrétaire. Permettez la précision, parce qu’il y en aura plusieurs.

« Elle me plaît beaucoup, dit-il en souriant, et je semble lui plaire. » Leur histoire dure quelques années. « C’était bien », résume l’homme, à l’époque gestionnaire, « pas le septième ciel », mais « bien ».

Toujours est-il qu’ils se quittent et que Gilles fait alors une rencontre qui va changer sa vie. Il a la quarantaine et vit un véritable coup de foudre pour une collègue, appelons-la Juliette, qu’il qualifie à ce jour de « femme de sa vie ». Pour cause, elle va revenir dans le décor bien plus tard, vous verrez. Dès le premier regard, il est « transporté dans un autre monde, [il est] en amour », résume notre Roméo. « Pour paraphraser Leonard Cohen, j’aime chaque centimètre d’elle ! »

L’amour de sa vie

Cheveux longs et frisés, yeux pers, c’est une « très belle femme », se souvient-il avec précision. Et c’est aussi elle qui l’amène « carrément » dans son lit. « Elle est des années 1970, et c’est formidable », rayonne-t-il. Elle a d’ailleurs un copain, « très ouvert », qui ne voit rien de mal à leur triangle amoureux. La relation ne dure finalement que quelques mois, parce que Juliette est incapable d’une « relation possession », comme elle dit. « Elle voulait l’ouverture, explique Gilles, vers d’autres hommes. Mais pas pour moi ! C’était une espèce de monde à l’envers, et moi, je n’étais pas d’accord ! » Là finit donc temporairement leur histoire.

Quelques mois plus tard, notre Gilles rencontre une énième « femme extraordinaire ». « Encore ! », dit-il en riant. Elle aussi est d’une « beauté hors de l’ordinaire » et quand ils finissent par se retrouver au lit, « cela dépasse tout ce [qu’il a] connu ». Plus qu’avec sa Juliette ? Affirmatif. « Oui, confirme-t-il. Parce qu’il y avait toujours cette retenue devant cette personne que j’aimais trop, et que j’aime trop. » Notez l’usage du présent. « Lorsqu’on aime trop, on souffre. » Nous y reviendrons.

Deuxième mariage avec cette fameuse femme, donc, une histoire que Gilles qualifie de « très bien », « amour pantoufle », « on est bien tous les deux », jusqu’à ce qu’il rencontre, début cinquantaine, une deuxième secrétaire. « Une blonde aux yeux bleus », une femme « émancipée » avec qui Gilles s’entend « à merveille ». Lors d’un voyage d’affaires, ce qui devait arriver arrive. « On se retrouve au lit et ça dépasse le nirvana. J’ai encore des visions d’elle et moi, c’était une superbe femme ! » Sauf que madame est aussi mariée de son côté et leurs deux unions respectives se terminent en « fiasco ».

J’ai une capacité d’aimer extraordinaire ! Mais une femme à la fois…

Gilles

Vous l’aurez compris, Gilles se retrouve alors en couple avec la secrétaire. Et non, ce n’est pas du tout fini pour lui. Il a la fin cinquantaine, prend sa retraite, et part de longs mois faire du bénévolat à l’étranger. C’est là qu’il a une énième aventure avec une Européenne, un peu malgré lui, cela dit. « Arrive un âge où on est rassasié ! » Visiblement pas lui, à l’entendre raconter ses nuits « flyées » avec la dame en question. « On a tellement baisé ! »

Il revient au pays, quitte la secrétaire, et poursuit cette relation à distance quelque temps, à coup d’une poignée de visites par année. « Mais ça n’avait aucun sens », dit-il.

Et puis voilà qu’il y a 20 ans, très exactement, Gilles retombe sur sa Juliette. La seule et unique. « Elle n’avait jamais changé de numéro ! s’émerveille-t-il. C’est un aimant, cette femme-là, pour moi ! Et elle n’avait pas changé d’un poil. » Toujours aussi belle, toujours aussi magnétique, quoi.

Madame vient de se séparer, ils se revoient, et amorcent « une relation qui dure encore aujourd’hui ».

Et puis, au lit ? C’est là que le bât blesse, sait-on. « Au lit [la première fois], c’est bien, parce qu’on s’est retrouvés, répond-il doucement. Mais je ne suis pas l’amour de sa vie. » D’où sa fameuse souffrance, comprend-on enfin, en raison de cet amour si fort, quoiqu’à sens unique. « Oui, elle, c’est l’amour de ma vie. Est-ce que ça s’explique ? On ne peut pas l’expliquer ! »

Son projet de couple ouvert n’est plus d’actualité, faut-il le préciser. En fait, sa sexualité au grand complet n’est plus d’actualité. « Elle a passé cet âge-là... », qu’elle dit. Elle ne veut même plus se laisser caresser, et ce, depuis près de 20 ans maintenant. « On n’a pas baisé plus de cinq fois depuis 20 ans. »

Oui, notre Gilles en souffre. « Moi, j’ai besoin de sentir sa peau, sentir sa chair, j’ai besoin de proximité physique ! » Pourquoi il ne la quitte pas ? Le fameux amour. « Je l’aurais quittée si je ne l’aimais pas. [...] L’amour ne s’explique pas, l’amour n’a pas de raison, sinon la déraison », conclut notre homme, avant d’ajouter : « Et puis est-ce qu’on commence quoi que ce soit à 84 ans ? »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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