La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Sylvain*, mi-cinquantaine

Sylvain a eu une jeunesse « rock’n’roll », carrément « intense » par bouts. Or, depuis 20 ans maintenant, après quantités de « maîtresses », le voilà casé. Heureux, par-dessus le marché. Récit de son chemin alambiqué vers sa « vie rêvée ».

Carrément : « c’est parfait », confirme notre interlocuteur tout sourire, attablé devant une bière, quelque part dans le Nord. La mi-cinquantaine, avec ses grands yeux doux, Sylvain est visiblement heureux de se raconter. Il faut dire qu’il n’a jamais fait l’exercice « du début à la fin ». Peut-être n’en a-t-il jamais senti le besoin, jusqu’à ce midi du mois de juin. Toujours est-il que là, « c’est une libération », dit-il. « Et si ça peut aider quelqu’un... »

Il en a effectivement long à raconter. « À 5 ans, j’ai été agressé par quelqu’un de mon entourage », commence-t-il. Mais surprise : non, il n’est pas exactement traumatisé. « Pas tant. Ça a plutôt éveillé ma sexualité. » Le type en question, d’une dizaine d’années de plus, amène l’affaire sous la forme d’un « jeu ». Du coup, Sylvain a ensuite envie de « rejouer » avec ses amis, à droite, à gauche, et à « répétition ». « Aussitôt que j’avais la chance, je jouais à touche-pipi. Avec des gars, des filles. Ça a toujours continué. »

À 13 ans, il vit sa toute première relation sexuelle avec une fille du quartier, une expérience « rapide », « très peu satisfaisante » et malheureusement « très peu protégée », souligne l’homme, rongé des mois de temps par la peur (finalement infondée) de l’avoir mise enceinte.

À 16 ans, il a sa première « vraie » blonde, « une belle fille avec qui j’ai exploré beaucoup ». Il s’en souvient encore. « On ne travaillait pas cet été-là et on faisait que baiser ! » Sauf que la jeune fille finit par le laisser, et cette fois, oui, Sylvain est bouleversé. « Je vis un grand sentiment d’abandon, ça dure un an. »

J’ai toujours eu peur de me faire laisser, ça va être marquant dans mes relations futures…

Sylvain

C’est que Sylvain a perdu un parent tout jeune, confie-t-il ici, à ce moment précis de l’entretien, d’où sa fameuse peur de l’« abandon » : « Je n’étais pas capable de l’accepter, ç’a été très difficile. »

Au cégep, il se fait une deuxième copine, et à nouveau, c’est « fou ». « À une étape plus élevée, explique-t-il. Elle est très friande, elle veut essayer des choses, on va aux danseuses, aux danseurs, on écoute des films pornos. » Ils vivent même ensemble un temps.

Le hic ? « J’étais très, très, très jaloux, sait-il. Maladivement, je dirais. Ce n’était pas cool. » À tel point qu’un soir, dans un bar, la jeune femme finit par partir avec un autre, sous le nez de Sylvain. « Pour me guérir », croit-il, avec le recul, quoique pas exactement sur le coup. En fait, tout le contraire se produit. Sylvain décide alors que c’en est fini pour lui des relations. « Je ne veux plus être en couple. »

Il a 20 ans. Et cette phase va durer 10 ans.

Sylvain travaille alors dans un bar populaire de l’époque, qu’il ne veut surtout pas qu’on nomme, de peur de se faire reconnaître. Pour cause : « Là, c’est aventure sur aventure. Je vivais de baise en baise. J’avais plusieurs maîtresses. » Des aventures d’un soir, « sans attache », précise-t-il, même si les filles en question ne sont pas forcément au courant qu’elles sont plusieurs en même temps. À sa défense, c’est « toujours consentant ». S’il n’a jamais fait le décompte de ses conquêtes, elles dépassent assurément la centaine.

Sylvain prend ici un moment pour faire un parallèle avec le mouvement #metoo. « Voyons, ce n’est pas si difficile que ça rencontrer une fille consentante ! Moi, je ne suis pas un laid gars, mais je ne suis pas un pétard non plus ! » Fin de la parenthèse.

« Et puis, je suis entré sur le marché du travail, poursuit-il. Et là, ç’a été les 5 à 7... » Son petit jeu se poursuit. « J’ai déjà eu trois filles différentes en 24 heures ! », dit-il en éclatant de rire. Oui, c’était « intense », concède-t-il. Quoiqu’il ne regrette rien.

C’était toujours protégé, et toujours consentant. C’était intense, mais c’était ça.

Sylvain

Il vit aussi à l’époque quelques aventures avec des hommes, une « bicuriosité » que Sylvain attribue à son passé et à sa précocité. « Je voulais être certain que je n’étais pas gai, dit-il. Ce n’était pas désagréable, mais je n’ai pas pris mon pied. »

Vers le tournant de la trentaine, voilà qu’il se met à fréquenter une fille ou deux plus « sérieusement ». « J’étais blasé un peu par la futilité, le fait de ne pas bâtir de relation », laisse-t-il tomber. Et puis, il se met aussi à rêver d’enfants. Surtout, à force de multiplier les rencontres, il n’a plus peur de l’abandon. « Comme si je m’étais guéri de ma peur de me faire laisser, se félicite-t-il. Je suis détaché de tout ça. » Conséquence : « Je suis revenu dans le moule du couple typique », avance-t-il, fier d’y être encore, faut-il le préciser.

Il vit donc quelques « relations », « mais rien de mémorable, au niveau sexuel », jusqu’à ce qu’il rencontre sa conjointe actuelle. C’était il y a 20 ans, très exactement.

Son visage s’illumine ici. « Wo, dit en souriant Sylvain. Le coup de foudre ! Tu sais tout de suite que c’est elle. Ça a cliqué. Je ne peux pas te dire pourquoi. Il y a un courant électrique qui passait. C’était intense. » Mieux : « Sexuellement parfait. Les deux, on est des donneurs », glisse-t-il, d’un air entendu. « Pas des receveurs », et de toute évidence, ça lui convient très bien.

Au début, ils font l’amour toute la nuit, « comme au temps de mes aventures, c’était incroyable ». Évidemment, avec les années, la vie de famille, ça s’est calmé. « Mais notre chimie est toujours là. »

Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. Certes, en 20 ans de vie commune, notre Sylvain a eu quelques relents ici ou là de jalousie. « La peur de la perdre, résume-t-il. Mais tu ne veux pas étouffer quelqu’un. [...] Je savais que ça venait de mon passé. Alors il a fallu m’adapter. [...] Faire des changements. » On ne saura pas trop comment, mais à le voir heureux aujourd’hui, et depuis tout ce temps, on comprend qu’il s’est géré et que ça semble avoir plutôt bien fonctionné.

« J’ai ma vie rêvée. Avec une conjointe. Une famille, dit-il. Ç’a été un long cheminement pour me rendre où je voulais, mais je pense que je suis enfin rendu. »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

Écrivez-nous pour nous raconter votre histoire