La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Martin*, la soixantaine

Martin a aimé et a été aimé tout autant. Beaucoup. Et souvent. Il a surtout passé des années à se chercher. Entretien avec un homme qui vient enfin de se trouver. Littéralement.

C’est que notre homme, la soixantaine bien entamée, qui nous a donné rendez-vous dans un petit café bien animé en ce petit matin de juillet, est arrivé d’Europe avec ses parents à 10 ans. Son histoire, qui en est d’abord une d’amours multiples, en est aussi une d’immigration. « C’est un voyage qui a répondu à beaucoup de mes questionnements », déclare-t-il d’emblée et à peine attablé.

C’est qu’il a mis des années à s’adapter. « Ça a été très difficile. » Le temps a fait son œuvre et Martin a fini par faire sa vie ici. Une vie qu’il nous raconte avec minutie, pendant plus d’une heure et demie, avant d’en venir à ses dernières conclusions. Nous y viendrons.

Son premier « grand amour », c’est la femme avec qui il s’est marié. « Elle était aussi immigrante », précise-t-il, quoique d’un autre pays d’Europe que lui. « Moi, en la voyant, je suis tombé en amour tout de suite. » Leur mariage dure près de 30 ans.

Sexuellement ? « C’était bien, résume-t-il, mais ce n’était pas la fréquence dont j’avais le goût à ce moment de ma vie. » De son côté, Martin voit la sexualité comme une activité « plaisante » et « gratuite » : « Ça me tentait ! » Elle ? Moins : « une fois aux deux semaines » lui suffisait. « Les relations étaient satisfaisantes, mais j’aurais aimé qu’elle me démontre plus de désir. Pour moi, il y avait un manque à ce niveau. »

S’il l’a trompée ? Affirmatif, hoche-t-il de la tête. « Ce manque-là me rendait vulnérable, explique-t-il. Ce n’était pas l’enfer chez nous, mais moi, je vivais l’enfer… »

Sa première incartade, c’est au bout de 10 ans de mariage et après la naissance des enfants que ça s’est passé. « Ce n’était pas tant le sexe, précise-t-il, que quelqu’un qui m’écoutait. Qui était là. »

Chez moi, je m’étais donné un nom : Casper ! Tu sais ? Le petit fantôme !

Martin, la soixantaine

Oui, il y en a eu d’autres. Une poignée. « Mais non significatives, précise-t-il. En regardant en arrière, il n’y en a pas une avec qui j’aurais fait ma vie, mais ça remplissait un vide… »

S’il s’est senti coupable ? « Absolument ! Je n’étais pas bien ! Mais je ne voulais pas me séparer. C’était ma soupape. Et une grande erreur », laisse-t-il tomber.

Une grande erreur, explique Martin, parce que quand son mariage se dissout, il fréquente une énième femme, de qui il est cette fois amoureux. Solide. « C’est elle qui m’a donné la poussée dont j’avais besoin pour me séparer. » Sauf que les enfants ont vent de l’affaire et le jugent amèrement. Lui comme elle, faut-il le préciser. « J’ai été catalogué comme l’homme qui a trompé. » Quant à la femme, sa « Sophia Loren », comme il la décrit, comme celle « à cause de qui » le mariage a été détruit. « Mais dans ma tête, ce n’est pas ça du tout. » N’empêche : « Les enfants n’ont jamais rien voulu savoir d’elle. » Et Martin ne l’a pas supporté. Même si au lit, c’était le pied (« oh mon Dieu, the best, c’est la seule femme de toutes mes relations où j’ai vécu des orgasmes ensemble, toutes les fois ! »), il finit par la laisser. « J’avais mes démons, précise-t-il. Je sortais d’un mariage, j’étais endetté, et il y avait autre chose… »

Quoi donc ? Ce fameux « vide » qui ne le quitte pas, et dont il ne vient que tout récemment de se débarrasser, après des années de quête, introspection et autres thérapies. Sans oublier toutes les femmes rencontrées au passage.

Quelque chose m’empêchait d’être heureux. Je me cherchais. C’était la première fois de ma vie que j’étais célibataire, et il fallait que je me trouve.

Martin, la soixantaine

Martin a 50 ans. Les années qui suivent, il rencontre plusieurs femmes. Celles-ci, enfin, « communiquent leur désir » d’être avec lui. « Ce que je n’ai pas eu avec ma femme ! », glisse-t-il. Des histoires qui durent quelques mois, un an, maximum. Au lit ? « Toujours bien, satisfaisant, mais je cherchais quelque chose ! Il y avait ce vide, je n’étais pas bien ! »

Dans le lot, il vit, mi-cinquantaine, sa toute première expérience fétichiste. « Il n’y avait pas de tabou ! », se souvient-il. Oui, « c’était le fun ! », mais l’affaire ne dure pas.

À l’époque, Martin commence à se dire qu’il devrait à nouveau se caser. Coïncidence ? Il rencontre une amie d’amie, du même pays natal que lui. « Ça coulait, résume-t-il, je n’étais pas en amour, mais il y avait un confort. » Il en est conscient, mais se marie néanmoins. Leur mariage dure 10 ans, une décennie marquée par la maladie et une profonde dépression. « Je n’étais pas bien, répète Martin. J’étais pogné… » Il le sent et il le sait.

On vous épargne les détails, mais madame finit par lui offrir un billet d’avion pour l’Europe. Ça ne s’invente pas, la veille de son retour au pays, il y rencontre une nouvelle femme. « Ce n’était pas sexuel, on a eu une connexion ! »

Ce qui devait arriver arrive : de retour ici, Martin se sépare, mais non, l’histoire ne se poursuit pas avec sa dernière « connexion ». N’empêche que notre homme, qui a pris entre-temps sa retraite, a la piqûre, et quelque temps plus tard (après la pandémie), il reprend un vol pour l’Europe à nouveau. Pas à moitié. Vous suivez ? « Je voulais faire un reset », sourit-il tout à coup.

J’ai pris un aller simple ! J’ai fait un pèlerinage ! Avec un sac à dos !

Martin, la soixantaine

Ça semble presque trop beau pour être vrai. « J’ai senti pour la première fois que le vide disparaissait. Shit, ça ne se peut pas ! J’étais comblé. » Comment, exactement ? Nous y voici enfin. « Je me retrouvais chez moi, analyse-t-il, quantité de thérapies à l’appui. Le marché le matin, la cloche de l’église, le chant des oiseaux, le soleil, le ciel bleu, la chaleur humaine ! […] Et, évidemment, la culture. […] J’ai commencé à me dire : mais qu’est-ce qui m’arrête ? » On comprend qu’il a l’intention de s’installer là-bas pour de bon. Parce qu’il a bouclé la boucle, en quelque sorte. Et trouvé ce qu’il cherchait.

Il rayonne. C’est que ce n’est pas tout. « J’ai rencontré quelqu’un ! », ajoute-t-il, dans un grand éclat de rire. « Surprise, surprise ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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