La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Isaac*, mi-soixantaine

Isaac est marié, heureux dans son couple comme dans son lit. Mais il mène à l’occasion et quelques fois par année une « double vie ». Entretien avec un homme mi-assumé, mi-rongé par la culpabilité.

Isaac, mi-soixantaine, nous a écrit cet été pour se confier : « Je fais appel, à l’occasion, aux services d’un masseur pour hommes », a-t-il révélé. « Moi aussi, j’ai le sentiment de vivre une double vie. » Une confidence qui semble faire écho à celle de notre interlocuteur de la semaine dernière, rappelez-vous, un certain Vincent* qui confiait tromper sa femme en cachette avec des hommes gais.

Lisez l’article « Vincent est “ce type d’homme” »

Seulement voilà : Isaac ne se cache pas de sa femme, mais bien de son mari. Oui, vous l’aurez compris, Isaac est gai. Comme quoi les hétéros n’ont pas l’apanage des « doubles vies », bien évidemment. Mais l’affaire a tout de même piqué notre curiosité.

L’homme nous a donné rendez-vous il y a quelques jours, sur sa jolie terrasse ombragée, par une belle journée ensoleillée. Habillé avec soin, les cheveux blancs rasés sur le côté – « jeune, j’avais beaucoup, beaucoup de succès », dit-il d’emblée, et on n’a pas de mal à le croire. « Mon mari dit que je suis une bombe sexuelle ! », ajoute-t-il en riant. Le ton est donné. L’angle également.

C’est qu’Issac a toujours su qu’il était gai. Et après quelques relations « infructueuses » avec des filles (« j’ai eu beaucoup de refoulement […] parce que c’était interdit ! »), il finit par sortir du placard à 20 ans. À l’époque, il est amoureux fou d’un collègue d’école, avec qui il vit aussi ses premières « étincelles ». « On se voyait toutes les fins de semaine et on ne faisait que baiser, baiser, baiser. On a tout fait », énumère-t-il. Notre homme a toutefois le sentiment d’avoir du temps à rattraper. « J’ai tellement refoulé ! » À preuve, il quitte sa première flamme, tellement il a besoin d’explorer. « C’était sûr que je ne serais pas fidèle ! J’étais nymphomane ! », dit-il en souriant.

Et puis ? Et puis Issac vit sa « vie de jeunesse », comme il dit, 15 bonnes années. « Avec tous les hauts et les bas, mais jamais de maladie », précise notre adepte du « safe sex ». Il gagne très bien sa vie, sort, voyage, profite à fond. « Les saunas, envoye, dans les parcs, tout y passe. J’avais des chums d’une semaine, un mois, c’est tout. C’est dur sur les émotions pour un hypersensible comme moi… »

Mais j’avais du fun, et c’est le prix à payer…

Isaac, mi-soixantaine

Il finit par se caser, mi-trentaine, avec un coup de foudre croisé dans la rue. « C’est qui, ce beau petit garçon-là ? », s’entend-il encore penser. C’était il y a plus de 30 ans, et c’est lui qui deviendra son mari.

Isaac s’en souvient encore : le premier jour, son Roméo refuse de venir chez lui. « Jamais le premier soir », dit-il. Sa réponse le séduit : « Il vient de gagner des points ! […] Je sentais chez lui beaucoup de rigueur, du sérieux. Ça, c’est un gars déterminé qui sait où il s’en va. » Et Isaac a envie d’y aller avec lui.

N’empêche qu’il s’essaye et ose au bout d’un moment de vie commune. « Est-ce qu’on est un couple ouvert ? », lui demande-t-il. Négatif. « OK, répond Isaac, parfait. » Et il ne lui en reparlera plus jamais. Pourquoi ? La question fait réfléchir notre interlocuteur. « La peur de le perdre ? »

Il faut dire qu’ici et là, à travers les années, Isaac s’est « échappé ». Pendant un an, il a même quitté son amoureux. Parce qu’il n’était pas capable de se résigner à cette exclusivité. « Je l’aimais, mais j’avais besoin d’aller au sauna, de cruiser encore. Avec le temps, on se calme ! »

Et il a effectivement fini par se « calmer »… à moitié. « Pas souvent ! Quelques fois par années, j’ai… des échappées ! » Plus jeune, c’était des petites vites ici ou là, au parc ou dans son appartement. Aujourd’hui, plus « pudique », Isaac opte plutôt pour des rendez-vous chez le « masseur ». « J’ai trouvé un compromis, dit-il, pour ne faire de mal à personne. » Un compromis qu’il garde pour lui.

Il y a des choses dont on ne parle pas, des sujets tabous : la mort, l’argent, la sexualité et la fidélité…

Isaac, mi-soixantaine

Et monsieur ne se doute de rien ? « Je ne peux pas répondre », dit-il en haussant les épaules. De son côté, Isaac en a parlé avec son psy. Parce que « ça fait du bien d’en discuter » et surtout parce qu’il a conclu que « ça n’est pas si grave ». « Ce serait grave si, de mon point de vue, j’avais une relation extraconjugale soutenue à long terme. Mais ce n’est pas mon but. »

Ce n’est pas son but parce qu’il est effectivement et manifestement « comblé ». « Je suis comblé avec lui [son mari], insiste-t-il. C’est un être bon, sans aucune malice. » Et oui, leur sexualité est « très satisfaisante ». « On jouit très, très fort ! On crie dans la maison ! illustre-t-il. Une fois par mois, on espace ça et quand ça arrive, c’est quelque chose. »

Ce qui n’empêche pas que quelques fois par années, ça le « titille » des semaines. « Faut que j’y aille, je n’en peux plus […], j’aime ça aller me faire masser des fois. […] Je considère ça comme un thérapeute qui me masse et avec qui ça finit habituellement avec un happy end. »

C’est après qu’il « souffre » et se retrouve rongé par la « culpabilité ». « Pourquoi j’ai fait ça ? […] Tout le questionnement que ça soulève ! »

Sans parler de l’illégalité de l’affaire. Isaac en profite ici pour y glisser son avis : « C’est un des plus vieux métiers du monde, est-ce qu’on pourrait respecter ça avec toute l’objectivité et le détachement que ça commande ? Il y a plein de femmes et d’hommes qui en souffrent aujourd’hui, parce qu’ils sont dans la drogue ou exploités, c’est tout un monde qu’on devrait réglementer ! Surveillons-les, prenons-en soin, respectons-les en tant que société ! », lance-t-il.

Cela fait une heure qu’il se raconte. Il a fait le tour de la question. « J’ai le meilleur gars du monde, conclut Issac. Oui, j’aimerais mieux qu’il sache, mais je ne veux pas lui faire de peine. […] Quant à moi, il y a beaucoup d’hommes qui font des choses en cachette. Et non, pas que les hommes hétéros… »

* Prénoms fictifs, pour protéger leur anonymat

Écrivez-nous pour nous raconter votre histoire