Oubliez les taux d’intérêt ou l’inflation, on ne parle pas d’économie ici. Mais bien d’un sujet tout aussi chaud : la sexualité, les amis. Vous souvenez-vous ? Il y a quelques années, on clamait haut et fort que les milléniaux étaient en récession au lit, affichant des taux faméliques d’activités lubriques. Les chiffres, revus et corrigés, avec le magazine Cosmopolitan.

Pourquoi le Cosmo ?

Madeleine Frank Reeves est rédactrice en chef adjointe du Cosmopolitan, à New York. Elle a en outre été responsable des pages Sex, Love & Relationships, et, du haut de ses 32 ans, se situe aussi pile dans le groupe cible de cette prétendue génération « No Sex ». Nous l’avons jointe à ses bureaux de New York, d’autant plus que son magazine a publié une jolie bombe sur le sujet, une réplique bien envoyée au titre sans équivoque : « The Millenial Sex Recession is Bulls*t » (traduction libre : la récession sexuelle des milléniaux est de la foutaise).

Lisez l’article du Cosmopolitan (en anglais)

Retour sur les faits

D’abord, un bref rappel. C’était il y a cinq ans ; coup sur coup, plusieurs médias, notamment le New York Times, le Guardian, et enfin The Atlantic, ont dévoilé une série de chiffres apparemment inquiétants sur l’inactivité sexuelle d’une génération. En gros, les milléniaux, souvent appelés Y, ce fameux groupe né avec une télécommande dans les mains, seraient les moins actifs, sexuellement parlant, comparativement à toutes les générations antérieures au même âge. Une conclusion pour le moins surprenante, quand on sait qu’on parle ici de la fameuse génération Tinder, pas exactement synonyme de chasteté, faut-il le rappeler. La faute à qui ? Au stress, au porno, aux applis, tout a été évoqué.

Lisez l’article de The Atlantic (en anglais)

À quel point « moins actifs » ?

« Les milléniaux sont moins actifs ? Mais combien moins actifs ? » Madeleine Frank Reeves, joyeusement mariée depuis sept ans, s’est posé toutes sortes de questions en lisant ces gros titres, auxquels elle ne s’est pas franchement identifiée (pas plus que ses amis ou collègues, d’ailleurs). Vérification faite, les conclusions rapportées provenaient notamment d’une étude longitudinale, baptisée General Social Survey (GSS), laquelle porte sur toutes sortes de questions, allant de la culture à la politique. En passant, combien de fois faites-vous l’amour par année (on paraphrase évidemment pour résumer) ? C’est ici qu’on a constaté ledit déclin : de 81,2 fois par année, à 78,5 fois (entre 1989 -1994 et 2010-2014). « On parle d’un peu moins de trois fois ! Ça n’est pas un déclin de géant ! », signale, amusée, notre interlocutrice.

Et qu’entend-on par « relation » ?

Question fondamentale ici : « Mais qu’est-ce qui compte comme du sexe ? » En un mot : de quoi on parle, au juste ? Est-ce seulement défini ? Est-ce qu’on se limite exclusivement à la pénétration ? En quoi est-ce pertinent ? Et les communautés LGBTQ+, elles, comment se sont-elles senties interpellées ? « Il y a un gros angle mort ici », fait valoir Madeleine Frank Reeves. Pour cause : « Au quotidien, dans notre travail, les lecteurs et les experts avec qui nous interagissons le disent : il faut explorer ce qu’on entend par “activité sexuelle” », dit-elle. Jouets sexuels, masturbation, « il y a tellement de différente manière de définir la sexualité » !

Et la qualité, dans tout ça ?

Pour en avoir le cœur net, le magazine a mené son propre sondage, auquel ont répondu un millier de jeunes (18-34 ans), il y a cinq ans toujours (des chiffres plus récents sont dans les cartons, mais malheureusement pas encore publics). Pas de doute, cette génération a exploré, les chiffres sont éloquents : BDSM (20 %), anal (35 %), rough sex (49 %), jouets (44 %). Mieux : « 71 % des répondants ont indiqué être satisfaits de la fréquence de leurs activités, mais ce qui est encore plus intéressant, c’est que 92 % ont dit que la qualité était plus importante que la quantité ! Et ça, c’est une donnée intéressante : ce n’est pas une question de nombre de fois, les gens en veulent surtout du bon ! », constate Madeleine Frank Reeves. Le sondage indique en outre que 68 % des milléniaux ne se considèrent pas comme en « récession sexuelle ».

L’effet #metoo

Impossible de passer sous silence le mouvement #metoo quand on parle de sexualité désormais. « Le mouvement a mis la notion de consentement au premier plan », confirme aussi notre interlocutrice. Dans une entrevue accordée au New York Post en 2019, sa collègue Jessica Giles, rédactrice en chef du Cosmo et également digne représentante milléniale, allait même plus loin : “Les femmes ont maintenant le genre de sexualité qu’elles ont envie d’avoir, et non la sexualité qu’elles se sentent obligées d’avoir. C’est une affaire de prise de pouvoir [empowerment]. C’est une affaire de satisfaction ! » On est loin de la récession…

Verdict ?

Alors ? Y a-t-il matière à s’inquiéter ? « Je pense que la sexualité des milléniaux se porte très bien », reprend Madeleine Frank Reeves, en rappelant que sa génération a grandi avec Sex and the City, normalisant les discussions aussi crues que coquines entre copines, à l’heure du brunch. « Je ne pense pas que comparer des statistiques de fréquence soit particulièrement éclairant ici. […] Par contre, je pense et je sais que la vie sexuelle des milléniaux est active, nuancée, et intéressante, en constante évolution et en expansion, conclut-elle. De manière générale, je dirais aussi que la sexualité prend une grande place dans leurs vies. » C’est dit !