La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Maxime*, mi-soixantaine.

Maxime est en couple depuis 25 ans, dans une relation stable qui fait bien des envieux. Le secret de sa longévité ? Une promesse inédite : l’infidélité.

« Voyons donc, ça ne se peut pas ! » Il l’a entendue souvent, celle-là, entre autres conversations sur sa relation. N’empêche que c’est ça. Le couple s’est même littéralement fait cette promesse, tout de blanc vêtu, quelques minutes avant d’échanger les alliances. « N’oublie pas : infidélité jusqu’à la fin de nos jours ! » Promesse tenue. À preuve : « On est toujours ensemble ! »

Notre interlocuteur, mi-soixantaine, tout sourire en entretien virtuel un lendemain de tempête, nous a écrit il y a plusieurs mois déjà, en réaction à une histoire d’infidélité. Une parmi tant d’autres, faut-il le souligner, publiées ici.

Son point de vue détonne, c’est le moins qu’on puisse dire. C’est que, pour lui, l’infidélité n’est pas une affaire de trahison. Tout le contraire. L’infidélité est une question de respect, de pragmatisme et d’humilité, peut-être. Nous y reviendrons, parce que non, Maxime n’a pas toujours vu les choses de cette façon.

Enfant, il a longtemps lutté contre son orientation. « Je ne veux pas, je ne peux pas, paraphrase-t-il. Je refusais l’homosexualité. » C’est que le peu de modèles qu’il a, à l’époque, ce sont des personnages assez caricaturaux (Michel Girouard, Christian Lalancette de Chez Denise, etc.). Il se voit encore aller au mythique Lime Light et en ressortir traumatisé. « Non, je ne suis pas comme ça… » Il ira jusqu’à faire une tentative de suicide, ça vous donne une idée.

Ce n’est qu’avec Janette Bertrand qu’il voit enfin des modèles différents, lire : plus « masculins ». « C’est ce qui m’a sauvé, avance-t-il. Ça m’a sensibilisé au fait que non, il n’y a rien d’épouvantable. » Cela dit, il continue de ne fréquenter que des filles – et les rapprochements sont ici « une séance de torture ! » – et repousse, ce faisant, les avances des garçons.

Au début de la vingtaine, Maxime cède enfin et vit sa toute première aventure avec un homme, en résidence à l’université. « Je réponds à ma pulsion, analyse-t-il, mais j’en avais honte. » Honte sans doute partagée, puisque l’histoire avorte rapidement.

Ce n’est que 10 ans plus tard, à la fin de la vingtaine, donc, un soir au Garage (bar underground des années 1980) que Maxime voit enfin des gais bien dans leur peau, beaux, bref, « à l’aise ». C’est une révélation.

Mais pourquoi je me suis condamné tant d’années ?

Maxime, mi-soixantaine

« Et pourquoi je n’ai pas été plus honnête avec les femmes ? ajoute-t-il. Mais je ne pouvais pas faire autrement. […] J’aurais préféré mourir… », laisse-t-il tomber.

C’est dans ce fameux bar que notre homme ose enfin s’affirmer et se fait même là son premier chum. Ainsi vit-il sa première vraie relation avec un homme. « J’ai enfin un compagnon, sourit-il à pleines dents à la caméra. Depuis que j’avais 16 ans que j’avais le goût. J’avais une pulsion épouvantable ! »

L’histoire dure deux ans, puis Maxime rencontre un deuxième homme, pour une nouvelle relation fusionnelle qui s’étire cette fois sur trois ans. Seulement voilà, réalise-t-il avec le recul, « je n’avais pas la maturité pour être en couple. […] Je devenais jaloux ! » Jaloux ? « Tant qu’il n’était pas rentré, je ne dormais pas. Et quand il rentrait, je faisais une crise, illustre-t-il. J’en étais étouffant. »

Une fois, à cette époque, Maxime débarque pour une toute première fois dans un sauna. Il y voit des choses qui le choquent, se souvient-il : « Je n’étais pas prêt. » Mais cela fait son chemin : « C’est là que j’ai réalisé qu’il y avait une vie sexuelle différente qui existait. »

Effectivement, une fois séparé, et pendant toute sa trentaine, c’est là que Maxime retourne pour s’amuser à raison d’une fois par semaine. Il va là pour « profiter de la vie », comme il dit. « Ma douce vengeance […], pour la sexualité que je n’avais pas eue dans mon adolescence. […] Toujours protégé », tient-il à préciser. Bref, il rattrape le temps perdu.

Cette époque fait son temps. Au tournant de la quarantaine, Maxime rencontre enfin son mari, l’homme de sa vie, en ligne. Monsieur habite à l’étranger, n’a aucune expérience avec les hommes, et ils passeront des mois à s’écrire avant de se rencontrer en vrai. C’est finalement en escapade dans l’Ouest que ça se passe. « Et on ne s’est jamais quittés… »

Nous y voilà. Ils se fréquentent ainsi deux ans (à distance, puis en présence) avant d’enfin emménager ensemble. La lune de miel se poursuit et c’est à ce moment-là, après des mois d’exclusivité, que Maxime offre à son amoureux, qui n’a pas vécu comme lui (ni « profité de la vie »), cette porte de sortie imprévue. En gros : « Tu peux aller voir ailleurs. Moi, je n’ai pas nécessairement le goût, parce que je pense qu’on ne bâtit rien sur le sexe. »

Tu ne m’appartiens pas, je ne t’appartiens pas, on est deux entités.

Maxime, mi-soixantaine

Son compagnon n’en revient pas. Il en revient encore moins quand, un soir, Maxime lui donne carrément l’adresse d’un sauna (le 456, énième lieu mythique aujourd’hui disparu). « J’ai jadis corrompu ma relation parce que j’étais trop possessif, lui dit-il. Tu es chanceux de me connaître à 40 ans ! »

Son raisonnement, fruit de son passé, est le suivant : « On ne peut pas demander à l’autre d’être notre propriété, explique-t-il, et s’il a des fantasmes spécifiques, je ne peux pas non plus répondre à tout ! La meilleure façon de bâtir cette relation, c’est de lui donner cette liberté. »

Cela va faire 25 ans et il ne le regrette pas. « Ça a tout le temps bien été. » Si vous voulez tout savoir, ils n’ont que quelques règles : ils ne s’en parlent pas et gardent leurs aventures pour eux (une règle qu’ils ont fini par assouplir au bout de 15 ans, « avec beaucoup d’humour et de délicatesse »), ne le font jamais plus d’une fois avec le même partenaire et ont toujours des relations protégées.

Certes, avec le temps et quelques soucis de santé, la libido de Max a diminué. Finies les folies, ils ne font plus l’amour ensemble que quelques fois par année. « Mais je ne me sens pas responsable, dit-il, parce que la porte est ouverte. S’il a une rencontre avec quelqu’un, tant mieux ! » Citant Jacques Brel, il conclut philosophiquement : « Il faut bien que le corps exulte ! »

Morale ? « On peut être très heureux en couple, à condition de ne pas posséder l’autre. » À condition, en prime, d’« être là, l’un pour l’autre ».

*Prénom fictif, pour protéger son anonymat

Exceptionnellement, la rubrique Derrière la porte sera publiée le samedi 30 décembre la semaine prochaine, la section Société faisant relâche le 31. De retour les dimanches par la suite.