Est-ce que je peux écrire que tu ne connais rien à l'athlétisme? s'amuse mon confrère Jean-François Bégin.

Plus tôt dans la soirée, on était au National Stadium (le Nid d'oiseau), les deux sprinters canadiens venaient de se faire sortir en quart de finale du 100. On était fixés sur le sort de notre heptathlonienne comme sur celui de nos deux coureurs de 1500, j'avais faim, j'ai dit: «Moi, je m'en vais.»

Grosse journée pour un p'tit vieux. J'étais allé traîner en ville, puis à l'haltérophilie, de là au stade. Je n'avais pas soupé. On s'en va-tu, Jean-François? Il ne se passera plus rien ici, de toute façon.

En fait, quand on est partis, il se passait la finale du lancer du poids. Mais bon, jamais personne ne regarde la finale du lancer du poids. Passe encore le lancer du javelot pour la vignette héraldique, et le marteau parce que c'est amusant, mais le poids et le disque! C'est d'un ennui...

On s'en va. On arrive au centre de presse, 20 minutes de marche, pour apprendre que «notre» lanceur de poids, Dylan Armstrong, est à ce moment-là deuxième du concours, susceptible de monter sur le podium, première médaille canadienne. Et on ne sera pas là pour cette médaille que 33 millions de Canadiens espèrent, et moi aussi, mais pour une autre raison: pour qu'on n'en parle plus.

«J'y retourne», me dit Jean-François.

Pas moi! D'abord parce que ce n'est pas une heure décente pour gagner une médaille, et puis parce qu'il ne la gagnera pas, ai-je ajouté avec toute la mauvaise foi du monde.

Il ne l'a pas gagnée, non plus. En passant, la dernière fois qu'un Canadien a gagné une médaille au lancer du poids, c'était en 1904 à St.Louis, par le Montréalais Étienne Desmarteau. À cette époque, le poids pesait 56 livres (7,26kg aujourd'hui). C'était presque de l'haltérophilie, un épaulé-jeté.

Que retenir d'autre de cette première soirée d'athlétisme?

Qu'il faisait doux comme au bord de la mer, la première belle soirée depuis notre arrivée. Que le stade était plein et magnifique. J'en doutais, oui. J'avais lu que son originalité était tout extérieure, que le dedans était inutilement tarabiscoté. Ce n'est pas un stade intime, mais comme je les aime. C'est un monument. Un somptueux monument.

Quoi d'autre? Ah oui, j'ai renoué dans la zone mixte avec cette race d'insupportables connards que sont les sprinters. Je devrais cesser, d'ailleurs, de les appeler les princes noirs. Ils ne sont pas noirs, ils sont mauves de conne fatuité. Les nôtres, pourtant totalement nuls, ne sont pas moins détestables. Et quand je dis nuls: 10,33 pour Anson Henry et 10,36 pour Pierre Browne, éliminés en quarts.

Anson Henry a trouvé le moyen de planter Bruny Surin dans la zone mixte, sans le nommer bien sûr. Paraît que Henry répondait au blogue de Bruny, anyway. Que retenir d'autre? Qu'Usain Bolt a fait grande impression. Mais je ne changerai pas mon pronostic. Je vois toujours Tyson Gay remporter la finale du 100 ce soir.

Retenons encore que le meilleur résultat canadien n'est pas au lancer du poids mais à l'heptathlon: l'adorable Jessica Zelinka est sixième après quatre épreuves. Que Nathan Brannen et le vieux Kevin Sullivan (34 ans) ont accédé sans encombre aux demi-finales du 1500, Sullivan toujours aussi rouquin, aussi gentil et disponible.

Dans un tout autre registre: aller au stade en métro est d'abord un voyage au coeur de la foule chinoise, effroyablement autodisciplinée; on comprend tout de suite pourquoi il n'y a pas eu pour l'instant de manifestations. Dans son extrême «straightitude», cette foule-là est bien plus menaçante que la police, remarquablement discrète d'ailleurs. Je vais peut-être dire un énormité: quand je suis arrivé ici, je m'attendais à voir un peuple opprimé; je vais m'en retourner en me demandant si le peuple n'est pas plus opprimant que ses dirigeants.

Le bon jour

Dommage que l'haltérophilie soit finie, je commençais à mieux connaître ce quartier qui me fait penser au Rosemont un peu clinquant de la rue Masson, ou à ce qu'était l'avenue du Mont-Royal avant de se «gentrifier». Cette ordinarité-là. Le marchand de vélos sourit en me voyant entrer, ça fait trois fois, on est comme des vieux copains. Je ne me tanne pas de regarder le étiquettes: 50$ pour un vélo de ville, 75$ le modèle pliant, un vélo à moteur électrique, très populaire ici, pour 175$. Mettez m'en un de côté, je sens qu'un moteur ne sera pas inutile quand je vais rentrer.

Je suis allé manger de gros raviolis dans un boui-boui ironiquement logé entre deux restos aseptisés. On ramasse un petit panier rond en osier en entrant, comme il y a un couvercle dessus on ne sait pas trop ce qu'on va manger. On lève le couvercle, surprise, ce sont des raviolis. J'ai demandé une fourchette. La façon dont la dame m'a dit non, ça voulait dire: tu devrais aller à côté, y'en ont. On m'apporte un verre de thé sans me regarder. La table est un peu grasse, l'ambiance un peu glauque, j'adore ça. Quatre yuans (60 sous).

Dommage que l'haltérophilie soit finie. J'en prendrais bien encore un peu, je finirais peut-être par ne plus dire des livres quand il faut dire des kilos, ce lapsus idiot me fait passer pour un nono...

J'ai rarement côtoyé des athlètes aussi généreux, aussi amoureux de leur sport. Hier, c'était Jeane Lassen qui levait, dans la catégorie des 75kg. Elle n'a pas très bien réussi, assez loin de ses meilleures barres - 105 à l'arraché, elle a déjà levé 112. Et 135 à l'épaulé, elle a déjà épaulé 168. Je n'étais pas dans un bon jour, nous a-t-elle dit.

C'est curieux pareil. Les athlètes se préparent pendant quatre ans, gros soutien technique, médecins, psy et tout le tralala, précisément pour ce jour-là. Et précisément ce jour-là, ils ne sont pas dans un bon jour. On avait dit à Jeane Lassen que les Chinois seraient bruyants pendant qu'elle lèverait. Alors un mois avant de venir ici, elle a organisé une compétition chez elle, à White Horse, en demandant au public de faire du bruit exprès pendant qu'elle levait, pour s'habituer.

C'est pousser loin le souci du détail. Pourtant, le jour dit, c'est tout autre chose qui ne marche pas. Quoi? Ne savent pas. Ce n'est pas le bon jour.

Il y a un milliard trois cent millions de Chinois en Chine, pas un qui a la grippe en ce moment. La nageuse Audrey Lacroix, si. Elle, ce n'est pas depuis quatre ans, mais depuis huit ans qu'elle se prépare pour ce jour-là (vous en avez peut-être entendu parler, elle n'est pas allée à Athènes). Huit ans pour ce jour-là et, ce jour-là, blanche comme un linge, mouche, crache, elle a la grippe. Sont malchanceux, faut croire.

Pour revenir à l'haltérophilie, n'est-ce pas aujourd'hui que Maryse se marie? Je vous embrasse, belle dame.

ZONE MIXTE - Despatie et Arturo Miranda répondent aux questions des journalistes dans la zone mixte. Vous avez déjà vu Arturo, mesdames? LE mâle. Quand il sourit, un peu de stupre lui sort des oreilles. Il répondait à nos questions avec gentillesse et cette pointe d'ennui qui nous disait qu'il avait quand même hâte que ça finisse quand, du coin de l'oeil, il aperçoit une consoeur, une petite rousse pas mal du tout, un peu à l'écart de notre troupeau. Elle lui fait signe. Il se précipite. Elle se présente - je n'ai pas compris le nom du journal. Mais mon confrère de La Presse Canadienne m'est témoin, elle lui a posé cette question qui touche à l'essence de l'art du plongeon: Pourquoi prenez-vous votre douche avant de plonger?

Laissez-moi vous dire que, si elle ne sait pas aujourd'hui pourquoi ils prennent leur douche, c'est parce qu'elle est un peu conne, parce qu'il le lui a expliqué très longtemps. Il s'est montré extrêmement disponible, je me demande même s'il ne lui a pas proposé de lui faire une démonstration.

LES PATTES DE POULET - Quelques collègues du village des médias ont fini par découvrir l'épicerie de l'autre côté de la rue. Une épicerie pas très différente d'un IGÀ chez nous, sauf le comptoir des plats préparés, où mes collègues ont découvert avec amusement les pattes de poulet. Ces Chinois, tout de même, des pattes de poulet!

Je me retiens de leur expliquer que les pattes de poulet bouillies ne sont pas une spécialité chinoise, c'est une spécialité de pauvres qui ne jettent rien. Ma jeunesse est pleine de pattes de poulet cuites dans la soupe. Et quoi encore? La tête du lapin du dimanche. Je vois mon père creuser l'orbite avec le bout rond de sa fourchette pour en extraire l'oeil et le manger. Juste pour vous dire que les Chinois n'ont pas inventé la pauvreté.