Marie-Pier Desharnais a atteint la semaine dernière le sommet du K2, le deuxième au monde pour la hauteur.

« C’est un mélange de fierté avec une espèce de reconnaissance infinie envers le fait que la montagne t’a cédé le passage. »

Marie-Pier Desharnais a atteint le sommet du K2 à 5 h 45, le matin du 22 juillet. Au moment de s’entretenir avec La Presse, vendredi matin, la native de Victoriaville se trouvait toujours à Skardu, petite ville du Pakistan en bordure des montagnes.

Au bout du fil, la femme de 36 ans cherche les mots pour décrire le sentiment qui l’a habitée une fois les pieds sur la montagne, reconnue comme l’une des plus difficiles et des plus dangereuses au monde. « C’est juste indescriptible comme feeling », souffle-t-elle.

La Québécoise, qui serait la première au pays à accomplir l’exploit, se souviendra à jamais de ce moment où le soleil s’est levé, environ 45 minutes avant le couronnement de six semaines d’efforts. Émue, elle a laissé couler quelques larmes.

Tu te fais réchauffer, alors que tu as eu froid toute la nuit. Tu grouilles les orteils et les doigts pour ne pas avoir d’engelures. Et là, finalement, le jour se lève. Le soleil se réchauffe. Les couleurs sur les montagnes sont débiles. Tu es proche du sommet.

Marie-Pier Desharnais

Là-haut, à 8611 mètres d’altitude, elle a brandi les drapeaux du Québec, du Canada et du Qatar – pays où elle a habité pendant 10 ans.

« Merci pour les leçons. Pour m’avoir cédé le passage. Pour m’avoir changée. Je t’emmène avec moi. Tu fais partie de moi », a-t-elle écrit sur les réseaux sociaux une fois de retour au camp de base. Des mots qui expriment bien la relation qu’elle entretient avec le K2, surnommé la « montagne sauvage ».

L’expédition

Marie-Pier Desharnais a entamé son expédition le 11 juin, journée de son arrivée au Pakistan. Elle faisait partie d’un groupe de 11 personnes (six femmes et cinq hommes) mené par Nirmal Purja, qu’on a pu voir dans le film 14 Peaks : Nothing Is Impossible.

« Ça fait trois ans que je grimpe avec lui et il n’était pas question que je grimpe avec quelqu’un d’autre que lui pour le K2 », explique-t-elle.

Avant d’attaquer le summit push, le groupe a effectué une première rotation, qui consiste à gravir la montagne une première fois jusqu’au camp 3, puis à redescendre au camp de base. « On va choquer le corps en altitude pour qu’il produise plus de globules rouges et qu’on puisse être capable de vivre avec moins d’oxygène », explique-t-elle.

Une fois revenu au camp de base, le groupe s’est préparé à réaliser l’ascension complète. Il lui a fallu attendre 12 jours avant que les conditions soient idéales et propices à la réussite. Desharnais et ses compagnons ont entrepris la grimpe le 19 juillet. Ils ont dormi une nuit au camp 1, idem aux camps 3 et 4.

« Généralement, les gens attaquent le summit push à partir du camp 4. Nous, on l’a skippé. Quand tu dors haut en altitude, tu t’affaiblis. Ton corps a moins d’oxygène, tu es moins reposée, tu ne dors pas bien. »

Si les choses se sont déroulées sans trop de heurts à la montée, elles se sont compliquées à la descente « infernale » de 12 heures. Une roche est tombée sur la main de la Québécoise ; la douleur était si intense qu’elle a cru ses jointures fracturées. « Finalement, c’est juste fêlé », dit-elle.

L’alpiniste a dû descendre en rappel d’une seule main, alors que les roches continuaient de tomber. « C’est ça, la plus grosse menace avec le K2. On a beau être outillé, avoir des aptitudes de grimpe, il y a des éléments qu’on ne contrôle pas, comme la chute de roches. Si on a le malheur d’être au mauvais endroit au mauvais moment, c’est véritablement une roulette russe. »

« Élever l’empreinte féminine »

Marie-Pier Desharnais a quitté le Québec à 25 ans afin de poursuivre aux Maldives ses études de maîtrise, qui portaient sur le rétablissement post-tsunami. Elle est elle-même une survivante du tsunami de 2004. De fil en aiguille, elle s’est retrouvée au Qatar, où habitait son ex-fiancé. Elle y a passé 10 ans, œuvrant dans le domaine de la gestion des catastrophes.

Voilà maintenant trois ans et demi qu’elle a adopté le mode de vie nomade et qu’elle grimpe de façon « plus assidue ». Elle a d’ailleurs lancé l’Apex Woman Project, qui consiste à gravir cinq des montagnes les plus difficiles au monde.

« J’ai passé 10 ans au Moyen-Orient dans un milieu professionnel qui était presque strictement réservé aux hommes. Ma passion, c’était l’alpinisme, un domaine presque aussi exclusivement réservé aux hommes. Je me faisais dire : “Tu as réussi cette montagne-là en tant de temps, tu es rapide pour une femme…” »

J’en avais assez. Je me suis dit : ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on doit rêver moins fort. Si je me mets à grimper comme ça, je peux élever l’empreinte féminine sur les montagnes les plus hautes, les plus difficiles. On va leur montrer que les sports extrêmes, ce n’est pas juste réservé aux hommes.

Marie-Pier Desharnais

Marie-Pier Desharnais a maintenant des idées d’expéditions polaires, en Antarctique. Et elle n’en a « pas fini avec l’Himalaya », prévient-elle.

« Je pense que je n’aurai pas assez d’une vie pour faire tout ce que je veux faire », lance l’alpiniste.

Comme le chantaient Marvin Gaye et Tammi Terrell : Ain’t no mountain high enough. (Il n’y a pas de montagne assez haute.)

Le cœur léger

En 2018, l’alpiniste Serge Dessureault est mort en tentant de gravir le K2. Au cours des derniers jours, un autre Québécois, Richard Cartier, y a aussi perdu la vie, tout comme un de ses partenaires, l’Australien Matthew Eakin.

Marie-Pier Desharnais a rencontré le groupe de Richard Cartier au camp 3, la veille de la mort des deux hommes. « On s’était liés d’amitié, raconte-t-elle. On avait le cœur léger, on plaisantait. » À son retour au camp de base, elle a appris que le Québécois était porté disparu. « Ça m’a complètement mise sous le choc, ça m’a bouleversée. [Richard] est un homme expérimenté. Ça remet les choses en perspective. Ça fait réfléchir. »