« Je ne gagne jamais dans la première partie de la course, je gagne à la fin parce que je n’abandonne pas. Je pense que c’est une analogie parfaite avec ma vie. »

Ces mots sont ceux de Justin Lavigne. À 21 ans, le natif de Pointe-Claire fait partie des meilleurs kayakistes de moins de 23 ans de la province et il participe cette fin de semaine aux Championnats du monde universitaires, en Pologne.

Mais le chemin pour s’y rendre a été sinueux.

Au moment de tomber enceinte de Justin, Caroline Lamoureux venait de vaincre un lymphome de Hodgkin. « Ça ne faisait pas un an que j’avais fini ma chimio. Pour moi, c’était déjà un bébé miracle. Parce que j’aurais pu être stérile, j’aurais pu être morte », raconte-t-elle avec émotion à La Presse autour de la table de la salle à manger de la demeure familiale, à Pointe-Claire.

Quand son fils voit le jour au bout de quarante et une semaines et demie de grossesse, en mai 2001, il est un bébé bleu. Rapidement, les médecins l’emmènent. Mme Lamoureux et son conjoint, Sylvain Lavigne, ne revoient leur fils que cinq heures après l’accouchement.

Justin passe les deux premiers jours de sa vie aux soins intensifs, dans un incubateur, puis il est opéré pour une transposition des gros vaisseaux, une malformation cardiaque.

Selon Nancy Poirier, chirurgienne cardiaque pédiatrique à l’hôpital Sainte-Justine, entre 2 et 4 enfants sur 10 000 naissances sont opérés pour cette malformation. « À Sainte-Justine, on opère entre 12 et 15 bébés par année avec ce type de malformation », fait-elle savoir.

Le tout se déroule bien, mais Justin passe la semaine suivante aux soins intensifs, puis deux autres aux soins intermédiaires.

« Là il était rose, tout beau, se souvient la maman. Il prenait plein d’antibiotiques. On l’appelait le champignon parce qu’il prenait tout ce qu’on lui donnait. »

Au bout de plusieurs semaines, les parents quittent finalement l’hôpital avec leur fils, mais y retournent plusieurs fois par année pour des suivis. « Il n’y a jamais eu d’assurance qui nous a été donnée par rapport à l’espérance de vie. C’est toujours surveillé. »

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Justin Lavigne avec ses parents Caroline Lamoureux et Sylvain Lavigne

Kayak, contrebasse et cor d’harmonie

Justin Lavigne a commencé à faire du kayak à 10 ans. « Nous, on était inquiets, dit la maman. On demandait tout le temps s’il y avait des restrictions. [Les médecins] disaient toujours : “C’est lui qui va le sentir.” »

À ce jour, le cœur de Justin se porte bien. Il est suivi par des médecins de l’Institut de cardiologie de Montréal. À quelques reprises, il a eu des petites frousses, de fausses alertes.

Il y a eu quelques fois où je me sentais pire que d’habitude, mais si je suis capable de parler et de respirer normalement, c’est sûr que c’est correct. Ça ne m’a jamais vraiment stressé tant que ça.

Justin Lavigne, kayakiste

Au kayak, ça n’a pas toujours été facile pour le jeune homme. Il peinait à « trouver [sa] place » au sein du Club de Pointe-Claire. Il aimait le sport, mais « c’était dur à cause de l’environnement ». Chaque été, il hésitait à poursuivre le sport. « Un dernier », convenait chaque année la famille.

En plus de son sport, Justin jouait de plusieurs instruments de musique. À partir de la troisième année du secondaire, il a fait de la contrebasse à l’école et du cor d’harmonie au Conservatoire de musique de Montréal. Disons que son horaire était bien rempli.

Cette année-là, son entraîneur de kayak lui a conseillé de prendre part à un camp de trois semaines en Floride. « Ça ne me tentait pas d’y aller, relate Justin. Je préférais rester avec mes amis, mon groupe de musique, avec qui je m’entendais vraiment mieux. »

Après discussion avec ses parents, il est allé dans le sud des États-Unis. Et contre toute attente, c’est là qu’il est devenu passionné du sport. La vraie passion. « Ce n’était plus une affaire de qui est ami avec qui, mais plutôt qui est bon. »

Objectif : équipe nationale

Pendant deux ans, l’adolescent a partagé son temps entre ses deux grandes passions, la musique et le kayak, jusqu’à ce que son horaire ne devienne trop intense. À la fin de la cinquième secondaire, il a dû faire un choix. Et c’est le kayak qui l’a emporté. « Je trouvais ça plus le fun d’avoir des résultats tangibles en sport. »

Dès sa première année de cégep, Justin s’est mis à s’améliorer, de compétition en compétition. Graduellement, il a réduit ses temps de l’année précédente. Il se dévouait corps et âme à son sport, et ça payait. « C’était vraiment motivant », dit-il.

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Le kayakiste Justin Lavigne a remporté quatre médailles aux Jeux du Canada.

En 2018, il a fait sa place dans l’équipe du Québec. Depuis, ça se déroule plutôt bien. La saison qui vient de passer a été sa plus mouvementée, et probablement sa plus réussie. Après s’être entraîné en Floride de février à avril, il s’est qualifié pour les Jeux du Canada et les Championnats canadiens. Aux Jeux, il a remporté quatre médailles, soit deux d’or et une d’argent en équipe ainsi qu’une d’argent individuelle.

Ce sont presque mes meilleures performances à vie.

Justin Lavigne

La semaine d’après, aux Championnats canadiens, il était « drainé mentalement et physiquement » en raison de l’été qui venait de passer. Il a donc pris le cinquième rang au 500 m ouvert. « Ce n’était pas mauvais, mais j’ai l’impression que j’aurais pu mieux faire », soutient-il.

Il prend part en fin de semaine aux Championnats du monde universitaires, sa première compétition internationale, qui se termine ce dimanche. Plusieurs des adultes qu’il entraîne désormais au Club de Pointe-Claire ont financé sa compétition.

Justin, qui étudie en travail social à l’Université de Montréal, rêve d’un jour faire sa place sur l’équipe nationale et de prendre part aux Jeux olympiques. Ceux de 2024 seront difficiles à atteindre : « Les gars devant moi sont des titans, lance-t-il. On ne sait jamais ce qui peut arriver, mais 2028 semble être le plus réaliste. »

Dans tous les cas, il a de quoi se féliciter. Comme le dit bien sa maman : « Il faut toujours penser à ce qu’il y a derrière tout ça. Il a un petit cœur [re]construit. Il est un miraculé de la vie. Il est dans un sport d’élite et il se bat pour avoir accès à une place où, même avec un cœur normal, les gens se battent. »