À moins de deux ans des Jeux olympiques de Paris, le nouveau directeur général de la Fédération de natation du Québec (FNQ) ne se fait pas d’illusions. La représentation québécoise reposera encore sur les épaules de Katerine Savard et de Mary-Sophie Harvey, les deux seules qualifiées à Tokyo en 2021.

« J’espère que les deux filles iront bien ! », répond candidement Francis Ménard lorsqu’on l’interroge sur ses attentes en vue des sélections olympiques de mai 2024, qui auront lieu à Montréal pour la première fois depuis 12 ans.

Le nouveau directeur général de la FNQ, nommé en juillet 2021 en remplacement d’Isabelle Ducharme, partie diriger Sports Québec, sait qu’il a du pain sur la planche. En prévision de son entrevue d’embauche, il n’a pas manqué de lire un article de La Presse publié à la même période et intitulé : « Creux de vague annoncé ».

Non seulement le Québec était absent de l’équipe canadienne aux Championnats du monde, une première, il n’avait également placé aucun nageur aux Mondiaux juniors.

« Comme fédération, je pense qu’on a eu un de nos meilleurs étés en termes de performance avec des médailles aux Championnats du monde et aux Jeux du Commonwealth, autant en para que dans le volet générique, relève cependant Ménard. On a eu des athlètes aux [Championnats] pan-pacifiques juniors et de bons Jeux du Canada. C’est excellent, mais est-ce annonciateur de l’avenir ? J’ai un gros doute. »

Jugeant que le travail des fédérations est souvent mal compris par les médias, Ménard a sollicité quelques journalistes ces derniers temps pour exposer une démarche entreprise il y a quelques mois à la FNQ.

Inspiré par un cheminement identique à celui de Baseball Québec, dont le directeur général Maxime Lamarche est devenu un ami, Ménard a mandaté une firme de consultation externe pour analyser le travail interne de la FNQ, effectuer une revue de la littérature scientifique pertinente, documenter le modus operandi d’organisations comparables qui obtiennent du succès, comme les fédérations de natation ontarienne et australienne, et proposer une série de recommandations.

« Il y a un constat, qui est aussi fait par le milieu, selon lequel ça ne va pas nécessairement bien en haute performance. D’un autre côté, il y a des fédés, comme Baseball Québec et d’autres, pour qui ça va bien. Ils mettent des projets innovants de l’avant. »

Pourquoi ne ferions-nous pas, nous aussi, ce genre de travail d’analyse interne, d’étalonnage des performances, et ne nous tournerions-nous pas vers la science ? Ne rien tenir pour acquis, finalement. Ç’a été mon réflexe.

Francis Ménard, directeur général de la Fédération de natation du Québec

Le travail a été confié à la firme Better Sport, dirigée par les Québécois André Lachance et François Rodrigue, deux spécialistes du coaching. Ceux-ci se sont adjoint les services de Marc-André Duchesneau, docteur en psychopédagogie, expert en accompagnement individualisé à l’Institut national du sport du Québec et surtout ancien entraîneur et passionné de natation. Leur rapport est attendu pour mars.

Tout analyser

Pour Ménard, ancien joueur de water-polo et DG de Parasports Québec, « tout est sur la table » : les façons de faire des clubs et de la fédération, le développement de l’athlète, les heures d’entraînement, le nombre de compétitions, etc.

Parmi ses constats préliminaires, il note la professionnalisation de quasi tous les entraîneurs, une rareté dans le monde sportif québécois.

« C’est un acquis indéniable et très positif, mais ça demande de l’argent, note-t-il. Les clubs doivent donc “vendre” des heures d’entraînement et des compétitions, dont la majorité est rentable, pour justement financer cette structure-là. Les athlètes s’entraînent beaucoup, font beaucoup de compétitions. Mais est-ce positif pour eux ? Optimal pour leur développement ? Je me pose dix mille questions comme celles-là. »

De la même façon, le DG s’interroge sur ce qu’il considère comme une absence de la fédération dans la progression de ses meilleurs nageurs.

On laisse beaucoup de place aux clubs et ils font très bien leur travail. Mais pourquoi ne produit-on pas plus d’athlètes performants ? Je pense qu’on ne leur donne pas une espèce de cheminement de développement qui les amènerait à être compétitifs sur la scène canadienne et internationale. On délègue tout à nos clubs sans leur donner les outils d’une fédération.

Francis Ménard, directeur général de la Fédération de natation du Québec

Ménard regrette l’absence d’une équipe du Québec « permanente ou temporaire » et la faiblesse des liens avec les spécialistes de l’Institut national du sport (INS). « On fait des sélections et on n’organise pas tant de camps d’entraînement. » Natation Canada a fermé son centre national de Montréal en 2013 pour concentrer ses ressources à Toronto, où aucun Québécois ne s’entraîne actuellement.

L’un des « premiers projets » évoqués lors d’un lac-à-l’épaule avec le directeur technique Nicolas Zazzeri et le directeur des opérations Jonathan Ouellet est d’ailleurs l’instauration d’une équipe centralisée.

« On regroupe les meilleurs athlètes, on leur donne le meilleur entraîneur et on fournit des services de qualité avec l’INS qui peuvent rivaliser, disons, avec une centralisation à Toronto. Mais est-ce que ça peut marcher ? Est-ce une bonne idée ? Le milieu va-t-il suivre ? Comment structurer cela, à quelle fréquence ? »

Constatant une certaine réticence des clubs à laisser partir leurs éléments les plus performants, Ménard reconnaît que ce n’est pas chose faite. « Ça demande un changement de culture. »

Il calcule qu’il aurait besoin de 400 000 $ à 600 000 $ de plus, sur un budget annuel de 2,2 millions, pour faire vivre une telle idée. La croissance de la philanthropie, comme en athlétisme, est une avenue qu’il souhaite explorer, mais encore faut-il avoir le personnel minimum pour mener à bien une telle opération.

La formation continue des entraîneurs est une autre de ses priorités. « On a de bons athlètes, de bons entraîneurs, de bons clubs, de bons bénévoles, il manque juste un petit quelque chose dans la recette, juge Francis Ménard. Comment peut-on mélanger ces ingrédients-là pour produire des résultats enviables ? »

Le DG de la FNQ vise 2028 et 2032 pour commencer à voir la natation québécoise participer à la vague de succès du Canada. D’ici là, Savard et Harvey, qui seront à Toronto pour une Coupe du monde la semaine prochaine, continuent de la porter à bout de bras…