(Ottawa) « Je vous en implore, je vous en supplie : vous devez déclencher une enquête judiciaire indépendante. »

La juge Rosemarie Aquilina, qui a présidé le procès du médecin agresseur Larry Nassar, a exhorté lundi le gouvernement canadien à aller de l’avant pour que cesse « le meurtre de l’âme des athlètes » qui subissent des abus.

La magistrate au franc-parler – en condamnant le médecin Larry Nassar à une peine d’emprisonnement allant jusqu’à 175 ans, en 2018, elle lui avait asséné : « Je viens de signer votre arrêt de mort » – a témoigné devant le comité parlementaire qui se penche sur la pratique sûre du sport au Canada.

Dans sa déclaration liminaire, elle a signalé aux élus que de jeunes athlètes canadiens l’avaient interpellée en lui demandant de l’aide.

Comment cela se fait-il que [les athlètes caandiens] doivent tendre la main au-delà de vos frontières pour réclamer que l’abus de mineurs cesse dans le sport ?

La juge Rosemarie Aquilina

« Vos athlètes canadiens vous demandent le 100 % qu’ils vous donnent […]. Leur santé, leur sécurité et leur bien-être sont en grave danger. Ils sont à risque tous les jours qu’ils performent avec des entraîneurs qui ne sont pas formés, insensibles, et dont la philosophie est de gagner à tout prix », a insisté la juge du Michigan.

Signe de l’accueil chaleureux auquel elle a eu droit, le néo-démocrate Peter Julian l’a qualifiée d’« héroïne ». La députée libérale Lisa Hepfner a aussi fait part de son admiration pour son travail, mais elle lui a fait remarquer qu’une enquête publique n’était pas l’équivalent d’un procès.

Vrai, a convenu Rosemarie Aquilina. Mais une enquête publique libérerait la parole des athlètes qui souffrent et leur donnerait un « espace sûr » où le faire. Et le Canada, en créant une enquête publique, deviendrait « un leader mondial » qui inspirerait « le monde entier », y compris les États-Unis.

À l’issue de la réunion, le député bloquiste Sébastien Lemire s’est adressé aux médias pour dresser le bilan du chemin parcouru dans la dernière année, se réjouissant de « l’esprit de collaboration » entre partis dans ce dossier, mais aussi saluer « le courage » des nombreux athlètes qui ont pris la parole.

« Créer un espace sécuritaire »

L’élu du Bloc québécois avait fait adopter en juin 2022, par consentement unanime, une motion réclamant la tenue d’une enquête publique et indépendante. Il a fallu plusieurs mois avant que la ministre Pascale St-Onge indique qu’elle comptait aller dans cette direction.

Elle s’est finalement engagée à le faire le 11 mai dernier. « L’objectif est d’offrir un espace sécuritaire pour les survivants qui désirent partager leur expérience et identifier, à tous les niveaux du sport, les améliorations à apporter », a-t-elle exposé par écrit, lundi.

Son bureau n’a pas fourni d’échéancier sur le moment où l’exercice pourrait se mettre en branle. En coulisse, on a argué que tout en comprenant le « sentiment d’urgence », on tenait à « développer la bonne approche ». En matière d’enquête publique, le gouvernement Trudeau a été échaudé avec l’enjeu de l’ingérence étrangère.

Un an de travaux

Le fléau de l’abus dans le sport amateur a été étudié par le Comité permanent du patrimoine canadien et le Comité permanent de la condition féminine. Les allégations de viol collectif à Hockey Canada, qui ont fait surface en mai 2022, ont été l’élément déclencheur de ces travaux.

Au fil des réunions, nombre de regroupements (Comité olympique canadien, À nous le podium) ont plaidé en faveur d’une enquête publique, comme l’a fait une longue liste d’athlètes, y compris la joueuse étoile de soccer Christine Sinclair et l’ex-gymnaste américaine Rachael Denhollander, victime de Larry Nassar.

Avec l’Agence France-Presse

Le procès Nassar

  • Larry Nassar

    PHOTO RENA LAVERTY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    Larry Nassar

  • Simone Biles

    PHOTO GRAEME JENNINGS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

    Simone Biles

  • Aly Raisman

    PHOTO SAUL LOEB, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

    Aly Raisman

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Larry Nassar a été reconnu coupable d’avoir agressé, entre 1996 et 2014, au moins 265 gymnastes dont il avait la responsabilité en tant que médecin de la Fédération américaine de gymnastique. À l’issue du procès, la juge Rosemarie Aquilina a permis aux victimes de s’adresser à leur agresseur. Cent cinquante-six l’ont fait. Parmi les victimes de l’ex-médecin figurent les championnes olympiques Simone Biles, Gabrielle Douglas et Aly Raisman, qui ont poursuivi USA Gymnastics pour ne pas les avoir protégées de Larry Nassar. L’affaire a fait l’objet d’un documentaire diffusé sur Netflix, Athlete A.

Mélanie Marquis, La Presse