(Sumatra, Indonésie) On commençait à perdre espoir. Ma conjointe Pascale, accessoirement copilote par excellence, m’indiquait que nous avions franchi la fin du tracé de la route sur Google Maps. On cherchait l’endroit en scooter depuis près de deux heures, à travers les champs, la forêt, les montagnes et les rizières de cette région du Sumatra occidental.

Allons-nous finir par trouver ce pacu jawi, évènement dont on nous a tant parlé depuis notre arrivée dans cette île d’Indonésie ? Prononcé « pachu djawi », le terme signifie littéralement « course de taureaux », et on aimerait vraiment voir ces hommes téméraires s’accrocher à leurs queues, les pieds sur un bout de bois, et courser de façon complètement hasardeuse dans la boue.

On s’arrête aux côtés de fermiers que l’on croise. « Pacu jawi ? », demande-t-on, pointant une direction ou l’autre en guise d’interrogation. On tombe finalement sur de bons Samaritains qui s’en vont au même endroit. On les suit. Et quelques minutes plus tard, pas de doute, on y est. Des centaines de mobylettes sont stationnées. Leurs propriétaires sont à une centaine de mètres, en train d’apprécier le spectacle.

  • La piste est d’environ 200 m de longueur et de 30 m de largeur. Elle est constituée essentiellement d’un lac de boue, creux d’environ 30 cm.

    PHOTO JEAN-FRANÇOIS TÉOTONIO, LA PRESSE

    La piste est d’environ 200 m de longueur et de 30 m de largeur. Elle est constituée essentiellement d’un lac de boue, creux d’environ 30 cm.

  • Il y a deux taureaux avec un attelage en bois accroché à leur cou. Un jockey se trouve à l’arrière, un pied sur chacune des pièces de bois à l’extrémité de l’attelage et ses mains autour des queues des deux bêtes.

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    Il y a deux taureaux avec un attelage en bois accroché à leur cou. Un jockey se trouve à l’arrière, un pied sur chacune des pièces de bois à l’extrémité de l’attelage et ses mains autour des queues des deux bêtes.

  • Lorsque les taureaux partent, attention. Ça va vite. C’est dangereux. Ça éclabousse. Et c’est spectaculaire.

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    Lorsque les taureaux partent, attention. Ça va vite. C’est dangereux. Ça éclabousse. Et c’est spectaculaire.

  • Cet évènement est une tradition vieille de 400 ans chez les Minangkabau, communauté de l’ouest de Sumatra.

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    Cet évènement est une tradition vieille de 400 ans chez les Minangkabau, communauté de l’ouest de Sumatra.

  • Il n’y a pas de compétition réelle au pacu jawi. Pas de gagnant ni de perdant. Au mieux, un jockey peut espérer vendre ses taureaux à fort prix s’ils performent bien.

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    Il n’y a pas de compétition réelle au pacu jawi. Pas de gagnant ni de perdant. Au mieux, un jockey peut espérer vendre ses taureaux à fort prix s’ils performent bien.

  • Chaque lancée des taureaux permet de labourer la terre. Il y a aussi une protubérance au bas de la confection de bois sur lequel le jockey pose ses pieds, qui fait tourner le sol.

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    Chaque lancée des taureaux permet de labourer la terre. Il y a aussi une protubérance au bas de la confection de bois sur lequel le jockey pose ses pieds, qui fait tourner le sol.

  • Au fil du temps, le pacu jawi a gagné en popularité. Avec l’aide de l’office du tourisme, il a maintenant lieu de façon hebdomadaire.

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    Au fil du temps, le pacu jawi a gagné en popularité. Avec l’aide de l’office du tourisme, il a maintenant lieu de façon hebdomadaire.

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On fait notre chemin à travers la foule, car foule il y a, même si loin du village le plus près, même dans un coin si reculé de l’Indonésie. On immisce nos têtes entre celles des spectateurs attentifs, et enfin, on les voit aller, quelques mètres plus bas.

Chaos, danger, divertissement

Deux taureaux. Un attelage en bois accroché à leur cou. Un jockey à l’arrière, un pied sur chacune des pièces de bois à l’extrémité de l’attelage. Et ses mains autour des queues des deux bêtes. On les voit même mordre lesdites queues pendant la course, pour tenter de les contrôler et les diriger. Lorsque les animaux partent, attention. Ça va vite. C’est dangereux. Ça éclabousse. Et c’est spectaculaire.

La piste est d’environ 200 m de longueur et de 30 m de largeur, selon nos estimations. Elle est constituée essentiellement d’un lac de boue, creux d’environ 30 cm. Les participants en sont couverts, parce que la plupart du temps, ils tombent et finissent submergés. Puis recommencent.

Et le danger est bien réel : nous avons vu un jockey tomber de son carrosse de fortune, puis être piétiné par deux bêtes en cavale, sans personne pour les contrôler. La foule a retenu son souffle. Des participants sont venus à sa rescousse, le soulevant par les bras et les jambes pour l’amener en sécurité, avant que d’autres bêtes partent du point de départ (les équipes de jockeys ne parviennent pas toujours à les retenir). Dans le chaos de la journée, nous n’avons pas su ce qui est advenu de l’homme piétiné par des taureaux détalant à vive allure.

Pas de gagnant, pas de perdant

Mais pourquoi, me dites-vous ? Et je vous entends. On s’est posé la même question. On se la pose encore. Surtout qu’il n’y a pas de compétition réelle au pacu jawi. Pas de gagnant ni de perdant. Au mieux, un jockey peut espérer vendre ses taureaux à fort prix s’ils performent bien.

Mais sinon, bien simplement, l’idée est de joindre l’utile à l’agréable, en passant par l’absurde.

Cet évènement est une tradition vieille de 400 ans chez les Minangkabau, communauté de l’ouest de Sumatra.

Historiquement, il avait lieu deux fois par an, soit après la récolte. Chaque lancée des taureaux permet de labourer la terre (ton arrière-arrière-grand-père, il a… mes excuses). Il y a aussi une protubérance au bas de la confection de bois sur lequel le jockey pose ses pieds, qui fait tourner le sol. Évidemment, la présence de dizaines de ces animaux – et la bouse qui en résulte – aide aussi à la fertilisation de ces terres pour les prochains mois.

Au fil du temps, le pacu jawi a gagné en popularité. Avec l’aide de l’office du tourisme, il a maintenant lieu de façon hebdomadaire. Les endroits où il se tient varient de semaine en semaine – d’où les indications obscures avec lesquelles nous sommes partis ce matin-là. L’évènement a même obtenu une visibilité internationale lorsque des photographies illustrant la course ont été primées, notamment au World Press Photo de 2013. J’aurais peut-être pu soumettre une digne successeure à cette photo si j’avais réussi à capturer le compétiteur qui avait sa cigarette au bec pendant sa course, causant l’hilarité et probablement un soupçon d’admiration chez les spectateurs. Ce sera pour une prochaine fois.

Pendant une bonne partie de l’après-midi, on regarde des vaches se faire mordre la queue dans la boue, on recule subitement lorsqu’elles s’approchent trop, on erre dans le marché de nourriture voisin, on écoute la musique traditionnelle jouée non loin, et on se fait nous-mêmes prendre en photo par des Indonésiens heureux de recevoir de la telle visite – ils sont tous d’une extrême gentillesse. On décide finalement de repartir, en espérant trouver un chemin plus direct qu’à l’aller. On suit donc le cortège de motos qui quittent le site au même moment.

En quelques minutes, on est sur la route principale. Note à nous-mêmes : ne plus jamais suivre Google Maps.