(Johannesburg) « Ce n’est que le début », espère l’athlète sud-africaine hyperandrogène Caster Semenya mercredi, au lendemain de la décision en sa faveur de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui l’a estimée victime de discrimination.

Semenya, double championne olympique (2012 et 2016) et triple championne du monde du 800 m, mais privée de sa course fétiche parce qu’elle refuse un traitement hormonal pour faire baisser son taux de testostérone, a remporté une bataille judiciaire devant la cour basée à Strasbourg mardi. Elle l’avait saisie après que la justice suisse avait confirmé en 2020 une décision du Tribunal arbitral du sport (TAS) validant un règlement de la Fédération internationale d’athlétisme (World Athletics) qui limite la participation aux compétitions des athlètes hyperandrogènes.

Semenya, qui présente un excès naturel d’hormones sexuelles mâles et livre depuis plus de dix ans un bras de fer avec World Athletics, a qualifié dans un communiqué la décision de la CEDH de « significative », car « remettant en cause l’avenir de toutes les règles similaires ».

Cet arrêt n’invalide toutefois pas le règlement de la Fédération internationale d’athlétisme et n’ouvre pas directement la voie à une réintégration de Semenya sur 800 m sans traitement hormonal.

World Athletics a même durci encore en mars sa réglementation concernant les athlètes hyperandrogènes, qui doivent désormais maintenir leur taux de testostérone sous le seuil de 2,5 nanomoles par litre pendant 24 mois (au lieu de 5 nanomoles pendant six mois) pour concourir dans la catégorie féminine, peu importe la distance.

« Mon espoir est que World Athletics, et au-delà toutes les organisations sportives, prendront en compte la décision de la CEDH et veilleront à respecter la dignité et les droits humains des sportifs », a souligné Semenya.

« C’est juste le début d’un changement qui était nécessaire » s’’est félicitée la sprinteuse américaine Sha’Carri Richardson sur ses réseaux sociaux, après la décision rendue par la CEDH.

Nouveaux épisodes à venir ?

« En tant qu’instance dirigeante mondiale de l’athlétisme, nous devons tenir compte, et nous le faisons, des droits humains de l’ensemble de nos athlètes », a répondu la fédération internationale dans un communiqué transmis à l’AFP.

« Les régulations sportives, par nature, limitent les droits des personnes. Quand ces droits sont en jeu, il est de notre responsabilité de décider si cette restriction est justifiée par la finalité, qui est, dans ce cas, de protéger le sport féminin », a-t-elle expliqué.

Le feuilleton sportivo-judiciaire autour du cas emblématique de Semenya pourrait connaître d’autres épisodes.

La décision de la CEDH en faveur de Semenya, ainsi confortée dans son combat, « ouvre potentiellement la voie à une nouvelle procédure devant le TAS » de l’athlète sud-africaine contre la nouvelle réglementation encore plus restrictive de World Athletics, avance auprès de l’AFP Antoine Duval, spécialiste en droit du sport à l’institut Asser de La Haye.

« Reste à savoir si Caster Semenya aura suffisamment de ressources financières, de force et de volonté pour continuer sa lutte », poursuit-il.

Dès mardi, World Athletics avait indiqué de son côté qu’elle allait « encourager les autorités suisses à se tourner vers la Grande Chambre » de la CEDH, sa formation suprême qui officie comme une cour d’appel et rend des décisions définitives, en mettant en avant les « opinions dissidentes » dans sa décision, rendue avec une courte majorité de quatre juges contre trois.

Dans le détail, la CEDH a estimé que la Suisse a notamment violé l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, relative à l’interdiction de la discrimination, combiné avec l’article 8, qui protège le droit au respect de la vie privée.

Les dernières courses de Semenya, un 5000 m et un 10 000 m dans une compétition sud-africaine, remontent à début mars.