« Dans la vie, est-ce qu’on peut vraiment rêver ? Est-ce qu’on peut avoir une idée vraiment épaisse et la mettre en action, faire des efforts et parvenir à l’accomplir ? »

Ce sont les questions que se sont posées Jean-Christophe René et Éloi Larrivée quand ils ont ébauché leur projet. Ce projet, il consiste à gravir les cinq plus hauts sommets des sept continents et à les relier par la force humaine, c’est-à-dire le vélo.

En 2022, ç’a été l’Amérique du Sud. Malgré le drame horrible qu’un des deux alpinistes a vécu par la suite, ils n’ont pas abandonné leur aventure, qui se poursuivra le 6 septembre alors qu’ils partiront pour l’Afrique.

Voici l’histoire des Trois Mousquetons.

L’attrait des montagnes

Jean-Christophe est ingénieur de formation, mais enseignant depuis un an. Éloi est militaire dans l’armée. Les deux hommes de 26 et 25 ans se connaissent depuis qu’ils ont 4 ans. À l’écran, lors de leur entretien virtuel avec La Presse, leur complicité est évidente.

PHOTO FOURNIE PAR LES TROIS MOUSQUETONS

Éloi Larrivée et Jean-Christophe René

Quand ils étaient adolescents, les copains enfourchaient leur vélo jusqu’aux montagnes les plus proches de leurs domiciles de Ham-Nord, une petite municipalité du Centre-du-Québec.

« On dormait en haut et on revenait à vélo, raconte Jean-Christophe. À 17-18 ans, on partait avec nos autos. Gaspésie, New Hampshire… On allait de plus en plus loin. »

Guidés par l’attrait des hautes montagnes, les deux meilleurs amis ont fait un premier voyage en 2019, dans les Alpes. Là-bas, ils se sont donné pour objectif de gravir le plus de sommets de 4000 mètres possible en se déplaçant d’un à l’autre à vélo. Ils en ont grimpé 11.

« On est tombés accros », lâche Jean-Christophe.

De retour au Québec, ils souhaitaient s’offrir un projet concret. Un rêve. C’est là qu’ils ont créé les Trois Mousquetons. Vous l’aurez compris : à ce moment, ils étaient trois. Pendant le premier voyage, en Amérique du Sud, le trio s’est séparé et est devenu un duo. Jean-Christophe et Éloi ont néanmoins décidé de garder le même nom, le troisième mousqueton représentant leurs proches.

« On le voit dans notre logo ; trois mousquetons qui se tiennent, c’est incassable », de dire Éloi en pointant le drapeau accroché au mur derrière eux.

L’Amérique du Sud

En février 2022, les deux camarades ont réalisé la première étape de leur aventure : l’Amérique du Sud. En 137 jours, ils ont gravi l’Aconcagua, le Bonete Chico, le Monte Pissis, l’Ojos del Salados et l’Huascaran Sur… en les reliant à vélo, toujours.

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Éloi Larrivée et Jean-Christophe René

« Le vélo, c’est le bout le plus dur », note Jean-Christophe.

Pour donner une idée de l’ampleur du projet : 4700 km séparaient la quatrième de la cinquième montagne. C’est presque l’équivalent de traverser le Canada. D’autant plus que leurs vélos tombaient en ruine.

« Quand tu as fini [ta montée], t’es épuisé, tu es en haute altitude et c’est demandant physiquement. Là, les gens normaux auraient un Jeep et s’en iraient manger une poutine et une pizza. Nous, on retrouve nos vélos. On est dans le désert, il ne reste plus beaucoup d’eau et de nourriture. On a encore 200 km à faire pour aller au prochain village. Mentalement, c’est difficile. Ce n’est jamais fini. »

Sur leur monture, ils ne traînent que le strict nécessaire, ce qui inclut leur équipement pour faire du camping d’hiver extrême.

« C’est minimaliste. J’ai un t-shirt et une paire de boxers. C’est un peu dégueulasse ! », s’exclame Jean-Christophe.

« C’est vraiment un voyage de boys ! », ajoute Éloi dans un rire.

Les amis ne sont pas ensemble en tout temps. Parfois, un d’entre eux roule plus vite que l’autre. Mais au bout du compte, ils finissent toujours par se retrouver. En montagne, ils se font confiance. C’est le secret.

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Éloi Larrivée

Le sacrifice de Rebecca

Après avoir terminé l’ascension des cinq sommets sud-américains, à la fin du mois de juin 2022, Jean-Christophe René et Éloi Larrivée avaient chacun leur plan.

La conjointe d’Éloi, Rebecca, l’a rejoint en Équateur pour un voyage de moto, de camping et d’alpinisme. « Pour vrai, c’étaient les 16 plus beaux jours de ma vie, mais ça s’est terminé en tragédie », raconte l’homme de 25 ans.

Le couple partageait le rêve de gravir le Chimborazo, le « sommet de la planète, le plus proche du soleil ». Il s’élève à plus de 6200 mètres d’altitude. Sous une belle température, ils ont gravi les 5900 premiers mètres.

Puis, sans prévenir, la vie a frappé.

Éloi a fait ses cours d’avalanche, il s’y connaît. Mais cette journée-là, sur le Chimborazo, « c’était bizarre ». « Ce n’était pas une nouvelle neige qui pouvait provoquer des avalanches. C’était vraiment une avalanche profonde. »

Les signes n’étaient pas décelables.

Les deux Québécois, attachés ensemble par une corde, ont été emportés. Éloi a perdu connaissance. Quand il s’est réveillé, il était suspendu dans le vide, au-dessus d’une falaise.

Je pendais après la corde. Le contrepoids, c’était Reb, enterrée dans la neige. Je peux dire carrément qu’elle a donné sa vie pour la mienne. Elle s’est sacrifiée.

Éloi Larrivée

« Après coup, la première chose à laquelle j’ai pensé, c’est que j’aurais aimé ça choisir le bout de sa corde. Mais on ne fait pas ce genre de choix là dans la vie. »

Après avoir vu la mort de si près, l’avoir « tenue dans [ses] bras », Éloi aurait pu décider que c’en était terminé avec les montagnes. C’eût été compréhensible.

Pourtant, il n’y a pas songé.

« Jamais. Non. Reb croyait tellement en ce projet-là. […] Elle aurait voulu, elle voudrait, elle veut que je continue là-dedans.

« C’est ça qui fait que j’aime autant la vie et que je continue pareil malgré le choc post-traumatique, la perte… Je me suis fait broyer le cœur dans cette histoire-là. Ce qui fait que je continue, c’est que j’ai la conviction profonde qu’elle croyait en notre projet et en moi. »

À l’écran, Jean-Christophe dépose la main sur l’épaule de son ami. « Il a une force incroyable, Éloi », dit-il.

« Une chance qu’on s’a ! », ajoute ce dernier en serrant son allié dans ses bras.

L’Afrique

Les deux compagnons sont fin prêts à partir pour l’Afrique pour la deuxième étape de leur grand rêve. Après tout ce qu’ils ont déjà vécu, ils savent qu’ils ont la force mentale pour réussir.

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Éloi Larrivée et Jean-Christophe René

Le Rwanda, l’Ouganda, le Kenya et la Tanzanie les attendent. Ils partent sans date de retour, mais prévoient environ un mois et demi à deux mois pour gravir et relier les cinq sommets.

« Notre mentalité, c’est qu’on va là pour réussir, lance Jean-Christophe. S’il y a un pépin en montant et qu’il faut revirer de bord, on va attendre et on va y retourner. […] On veut vraiment réussir ! On n’est pas comme les autres ! »

Bien sûr, il leur arrive d’avoir peur. Ils sont humains, ils connaissent les risques. Mais ils sont aussi deux aventuriers un peu fous, comme ils se qualifient eux-mêmes.

Et que retrouve-t-on, au fond de l’esprit et du cœur de deux aventuriers un peu fous ?

« L’espoir, l’amour, la résilience », souffle Éloi.

« L’espoir de dire : crime, on a eu une idée. On y croit, complète Jean-Christophe. On va foncer, on va l’avoir. J’en ai des frissons en le disant. »