C’est l’histoire de trois générations universitaires de biologistes marines qui concrétisent une idée fantasque : celle de traverser l’océan Atlantique à la rame.

Certains textos surprennent plus que d’autres.

« Est-ce que ça t’intéresserait de faire la World’s Toughest Row ? »

Chantale Bégin a reçu ce message sur son cellulaire lors d’une journée de janvier 2021. Expéditeur : Lauren Shea, une de ses anciennes étudiantes dans le cours de biologie marine qu’elle donne à l’Université du sud de la Floride, à Tampa.

« Lauren était à Antigua, explique-t-elle à La Presse. Elle travaillait sur un bateau-école, sur lequel j’ai déjà travaillé aussi. […] Elle a vu des bateaux à rames arriver à Antigua. Plein de monde était là pour les accueillir. Elle a demandé d’où ils arrivaient parce qu’il n’y a pas grand-chose à l’est d’Antigua ! Elle s’est fait répondre qu’ils arrivaient de la côte de l’Afrique et qu’ils avaient traversé l’Atlantique à la rame. »

Chantale était déjà au courant de l’existence de cette course : deux ans plus tôt, elle avait été témoin du même spectacle lors d’une de ses visites à Antigua. Elle a donc répondu au texto comme suit :

« Yup, let’s go. »

En quelques heures, la Québécoise de 44 ans était embarquée dans ce grand projet avec deux de ses anciennes étudiantes de 27 ans, Lauren et Noelle Shea. Pour compléter l’équipe, Chantale a proposé d’intégrer celle qui a autrefois été sa directrice de doctorat à l’Université Simon Fraser, la Québécoise de 61 ans Isabelle Côté.

Comme ça, en quelque 48 heures, les deux Québécoises et les deux Américaines formaient un quatuor de trois générations universitaires de biologistes passionnées et prêtes à se lancer dans une aventure rocambolesque, périlleuse, voire un peu loufoque.

Nom d’équipe : Salty Science.

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉQUIPE SALTY SCIENCE

L'équipe Salty Science : Isabelle Côté, Lauren Shea, Chantale Bégin et Noelle Shea

Une longue préparation

Isabelle Côté est une nageuse et une coureuse de longue distance. Chantale Bégin a déjà fait des triathlons et différents sports. L’entraînement, elles connaissent. Sauf que dans ce cas-ci, « on parle vraiment de quelque chose de différent », dixit Isabelle.

Traverser l’océan Atlantique à la rame, d’est en ouest, est – évidemment – un tout autre défi.

Comme aucune des quatre femmes n’avait d’expérience en aviron, elles ont dû apprendre à ramer. Il leur fallait « avoir une bonne technique pour être efficaces et ne pas se blesser, pour être capables de faire ça 12 heures par jour » pendant 40 à 50 jours.

« Ça fait un an et demi qu’on s’entraîne avec une coach qui nous fait un entraînement sur mesure parce que c’est un entraînement physique assez important, explique Chantale. C’est beaucoup de travail de musculation parce qu’il faut que les muscles soient prêts à travailler 12 heures par jour. »

On fait de l’aérobique, mais c’est surtout de l’endurance.

Chantale Bégin

Au cours des trois dernières années, les quatre femmes et amies ont consacré temps et argent à leur préparation. Tout doit être pensé afin de leur permettre d’être en mer sans assistance jusqu’à huit semaines.

En plus de la nourriture dûment calculée, les quatre femmes apporteront sur le bateau un dessalinisateur, qui leur permettra de boire l’eau de mer grâce à un filtre. Elles auront également une batterie 12 volts, un GPS, une carte marine, un autopilote, beaucoup d’équipements de survie, trois téléphones satellites, des balises radio d’indication de position d’urgence et tout le nécessaire pour réparer les bris qui pourraient survenir sur le bateau.

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉQUIPE SALTY SCIENCE

La préparation, qui dure depuis trois ans, permet à l’équipe d’éliminer les craintes… même si certaines demeurent.

« Il pourrait y avoir des grosses tempêtes, explique Chantale Bégin. On s’y attend, on est prêtes à avoir de grosses vagues. Le bateau a déjà fait trois traversées. Il est fait spécialement pour traverser l’océan à la rame. S’il chavire, il est fait pour se redresser tout seul. »

Tous les équipements seront rangés dans des cabines fermées en tout temps afin que rien ne soit mouillé en cas de chavirement.

La préparation, qui dure depuis trois ans, permet à l’équipe d’éliminer les craintes… même si certaines demeurent.

« Moi, j’ai plein de phobies qui incluent la noirceur, être au milieu de la mer sans voir la côte et les grosses vagues, lâche Isabelle Côté en riant. Je pense que c’est un moyen de guérir toutes ces phobies-là en même temps ! »

« Ce qui m’inquiète plus, ce sont les moments qu’on est incapables de prévoir, ajoute son amie. S’il y a un bris majeur sur le bateau, qu’il y a une grosse craque et que ça devient dangereux de rester dessus… Ça ne devrait pas arriver, mais bon. »

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉQUIPE SALTY SCIENCE

Au cours des trois dernières années, les quatre femmes et amies ont consacré temps et argent à leur préparation.

Pour la conservation marine

Chaque équipe participant à la World’s Toughest Row doit choisir une cause qui lui tient à cœur et pour laquelle elle amassera des fonds. Les quatre biologistes n’ont pas mis de temps à arrêter leur choix sur la cause de la conservation des milieux marins.

« On est excitées de parler de ça aux gens, dit Chantale. On donne des présentations là-dessus pour que les gens comprennent quels sont les problèmes qu’on a en conservation marine, quelles sont les solutions, qu’est-ce qu’on peut faire. Mais c’est clair qu’on est aussi excitées d’avoir une aventure sur l’océan. »

Comme toutes les quatre œuvrent dans le domaine de l’enseignement, elles ont ciblé trois organismes qui mettent l’accent sur le développement des capacités pour résoudre les grands enjeux liés à la conservation des milieux marins.

Pour moi, l’enjeu, c’est vraiment d’agrandir le bassin de personnes qui peuvent participer à la conservation marine et qui peuvent être entraînées à apporter des solutions nouvelles.

Isabelle Côté

Elles ont donc choisi le Bamfield Marine Scientists Center, une station de recherche offrant des cours de terrain aux étudiants en biologie marine dans l’île de Vancouver. « Avec les fonds qu’on va donner à Bamfield, on veut créer une bourse pour les étudiants de milieux moins représentés dans les sciences marines », évoque Chantale.

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉQUIPE SALTY SCIENCE

Les quatre biologistes vont amasser des fonds pour la conservation des milieux marins.

Il y a également Greenwave, un organisme américain qui travaille à faire de l’aquaculture durable. Et Shellback Expeditions, fondé par Chantale, qui soutient la recherche et les actions de conservation pour les écosystèmes côtiers de l’est des Caraïbes.

Jusqu’à maintenant, 200 000 $ US ont été amassés sur un objectif de 500 000 $ US. « Ça se passe quand même bien pour une gang de scientifiques qui ne connaissent pas grand-chose en collectes de fonds et en marketing ! », s’exclame Chantale.

Une certaine partie des fonds récoltés, soit environ 100 000 $, servira à payer la course. Le reste sera divisé entre les trois organismes.

C’est le 12 décembre, aux îles Canaries, qu’aura lieu le départ.

« Le faites-vous principalement pour gagner ou surtout pour l’expérience ? », demande-t-on aux deux Québécoises.

« C’est une question importante qu’on s’est posée, répond Isabelle. Quand on s’est demandé : s’il y a des dauphins, est-ce qu’on arrête de ramer et on plonge dans l’eau pour aller les voir ou on continue à ramer ? Les quatre, sans hésitation, ont dit : on va voir les dauphins.

« On est biologistes marines avant d’être des compétitrices, continue-t-elle. On veut vraiment avoir une expérience unique. On adore tout ce qui est océan. On va vivre des expériences qu’on ne vivra probablement plus jamais. On va maximiser ça. Et si ça nous coûte la course, ça nous coûte la course. »