« Hein ? Hein ? Hein ? »

C’est à peu près la réaction qu’a eue Caroline Pomerleau quand sa femme l’a accueillie à la ligne d’arrivée du marathon de Toronto, dimanche, pour lui annoncer qu’elle était championne canadienne… à son premier marathon à vie. Et après seulement sept semaines d’entraînement.

« Dans mes plus grands espoirs, j’aurais peut-être pu espérer une médaille de bronze, mais ce n’était pas vraiment réaliste », lâche la résidante de Québec au bout du fil.

Tout compte fait, c’était bel et bien réaliste… et réalisable.

Quatre jours ont passé depuis l’exploit de Caroline Pomerleau, qui prend notre appel jeudi soir après sa journée de travail. La jeune femme de 28 ans est enseignante en éducation physique à l’école Oraliste pour enfants malentendants, dans le centre-ville de Québec.

« Je ne suis pas encore remise de mes émotions ! s’exclame-t-elle. On dirait que je commence à avoir une grippe aussi, avec la fatigue et tout. »

Elle a tout de même pris le temps de tout nous raconter dans le détail.

La course

Ancienne étudiante-athlète du Rouge et Or de l’Université Laval en athlétisme, Caroline Pomerleau a commencé à faire de longues distances il y a trois ans. C’est sa femme, Anouka Tremblay, qui est son entraîneuse.

Au printemps dernier, la Québécoise a reçu un diagnostic de tendinopathie au tendon d’Achille. Elle n’a donc pas pu s’entraîner de l’été, jusqu’en septembre.

Le marathon de Toronto, son premier marathon sur route à vie, représentait pour Caroline Pomerleau une « pratique ». Un genre de test, pour voir ce qu’elle peut faire sur cette distance.

Elle s’est rendue dans la ville ontarienne avec sa femme, sa mère et quelques amis. « Quand je suis partie pour ce week-end-là, j’ai dit : on s’amuse, c’est notre week-end de célébration. Célébrer, c’est dans ton attitude, raconte-t-elle avec dynamisme. […] Peu importe ce qui va arriver après la course, je profite de mon week-end, ça va être une belle expérience, je suis là pour m’amuser. »

Et c’est ce qu’elle a fait. Elle s’est amusée du début à la fin ; avant, pendant et après la course. Les vidéos publiées sur le compte TikTok du couple, qui montrent l’athlète avec un sourire aux lèvres la plupart du temps, le prouvent.

« [Pendant la course] je faisais des allô, des cœurs et je souriais. J’avais du plaisir, mais je visais quand même la performance. J’étais classée sixième avant la course. […] J’avais dit à Radio-Canada que je visais le top 5. C’était la réalité, parce qu’il y avait deux olympiennes qui étaient là. »

Le matin du marathon, une alarme d’incendie dans l’hôtel a forcé l’athlète à se lever à 4 h 30. Elle s’est recouchée, puis relevée à 6 h, prête à attaquer sa journée.

Avant la course, il y avait de la musique et j’avais le goût de danser. J’étais juste dans un bon état d’esprit pour courir avec le sourire.

Caroline Pomerleau

Pomerleau visait un temps de 3 min 40 s par kilomètre, afin de parcourir les 42,195 km en 2 h 35 min. « Je ne savais pas si j’étais capable, relate-t-elle. Je me demandais si je devrais plus faire 2 h 37 ou 2 h 38. »

Elle était bel et bien capable.

Pomerleau a franchi les 21 premiers kilomètres, une distance à laquelle elle est habituée, sans difficulté aucune. Un peu plus loin, quand sa femme lui a crié sa position par rapport aux autres Canadiennes, la coureuse n’a pas entendu. Elle a dépassé des hommes et des femmes, plusieurs coureurs internationaux, sans trop savoir où elle se situait. Il restait un kilomètre à parcourir quand elle a aperçu, au loin devant elle, la Québécoise Anne-Marie Comeau, qu’elle connaît bien.

« Je me ramasse dans la dernière courbe, à 300 mètres de la fin. Je la vois, elle est à deux pas de moi. Dans ma tête, je ne savais pas qu’elle était première. Moi, j’avais mon rythme. Je me disais que je resterais là. »

C’est là qu’il y a eu comme un déclic.

« F*ck it, j’y vais », a pensé Caroline Pomerleau.

« J’avais l’énergie dans mes jambes. Ça fait que là, bam ! Je pars comme une flèche, je la dépasse. Je me dis : ralentis pas, ralentis pas. »

Pomerleau a franchi la ligne d’arrivée en 2 h 34 min 44 s, sept secondes devant Comeau et plus d’une minute devant l’olympienne Dayna Pidhoresky.

« Le directeur de course me met le drapeau du Canada sur les épaules, Anouka me dit que j’ai gagné. Et là, je réalise ce que je viens de faire. »

Les organisateurs, qui croyaient que la victoire reviendrait à Anne-Marie Comeau, n’avaient même pas eu le temps de sortir la bannière…

Rêve et réalisme

En vertu de sa victoire, Caroline Pomerleau se retrouve dans le top 400 mondial. Mercredi, elle a appris qu’une place dans le top 200 lui offrirait une mince possibilité d’aller aux Jeux olympiques de Paris.

« Je disais à tout le monde que c’était impossible, mais finalement, ça l’est un peu. Mais il y a de très faibles chances parce qu’il faudrait davantage que je m’approche du temps de 2 h 26 », explique-t-elle.

D’autres facteurs entrent aussi en ligne de compte, comme les résultats des autres Canadiennes. De toute manière, le prochain objectif de Pomerleau est de courir un autre marathon à Houston, au Texas, le 14 janvier. Elle aimerait le terminer en 2 h 30.

Depuis trois ans, mon processus, c’est que je veux monter un échelon à la fois. J’aime ça me donner des défis, et j’ai tendance à les atteindre assez rapidement.

Caroline Pomerleau

Son rêve est de représenter le Canada aux Championnats du monde un jour. Elle préfère ne même pas penser aux Jeux olympiques.

« C’est bien de rêver, mais parfois, il faut être réaliste. Une étape à la fois. Les Mondiaux d’ici cinq ans, je pense que c’est réaliste ! »

Souvenons-nous néanmoins qu’elle espérait une médaille de bronze à Toronto. Comme quoi, l’irréaliste peut vite devenir… réaliste.